Elections 2012: L'Amérique face au Troisième Choc Pétrolier (2e partie)
L’automobile américaine et le mirage de l’indépendance énergétique.
Les Etats-Unis consomment 18 millions de barils de pétrole par jour ( soit 20% de la consommation mondiale). Près des deux tiers sont importés (11,6 millions de barils /jour). Depuis Richard Nixon et le premier choc pétrolier chaque candidat à la Maison Blanche promet un plan pour renforcer l’indépendance du pays en matière d’énergies fossiles. Il s’agit toujours de briser la dépendance américaine envers le pétrole étranger, notamment en provenance du Moyen Orient. Mais une fois élu, le plan est discrètement remisé et on ne parle plus d’indépendance énergétique jusqu’à l’élection suivante. Pourquoi ? Parce qu’en matière de pétrole, les coûts, les enjeux, les intérêts et surtout les blocages sont énormes…
Obama n’échappe pas à la règle. Lui aussi y est allé de sa rengaine électorale pour l’indépendance énergétique du pays. Dans son derniers discours sur l’Etat de l’Union, il en a même fait l’une des trois priorités de son second mandat. Mais son action se limite à un objectif de diversification du « mix énergétique » américain.
Pour lui, le moyen de garantir l’approvisionnement américain en carburant n’est pas, simplement, de produire plus de pétrole et d’en importer moins. Il faut réduire la consommation et promouvoir, par des subventions, la production de véhicules hybrides ou électriques ainsi que les carburants alternatifs.
Les Etats-Unis pourraient économiser deux millions de barils par jour (12% de leur consommation) s’ils remplaçaient l’ensemble de leur parc automobile par des « petites voitures » ! Cela signifierait la fin de leur longue histoire d’amour avec les "road cruisers", ces forteresses de l’asphalte, de la taille d’un paquebot et qu’on appelle « gas guzzlers » tant leur consommation est gargantuesque... Une véritable révolution culturelle.
Mais une révolution qu’Obama n’a pas hésité à lancer en laissant grimper le prix du carburant.
Lors de son entrée en fonction, le secrétaire à l’Energie, David Chu, avait avoué vouloir « trouver le moyen de faire grimper les prix (de l’essence) au niveau qu’ils occupent en Europe ». Soit l’équivalent de 8 à 10 dollars le gallon ! Pourquoi ? Parce qu’en dessous de ce seuil, les investissements dans les véhicules et carburants alternatifs ne sont pas rentables.
Barack Obama lui-même a reconnu que la hausse récente était « néfaste » non par principe, mais parce qu’elle est « trop brutale ». « J’aurais préféré un ajustement progressif » a-t-il dit à un journaliste.
Fustigeant cette « politique de l’essence chère », les candidats républicains ont promis de ramener le prix du gallon au-dessous 2,50 $. Comment ? En autorisant de nouveaux forages aux Etats-Unis. Ce qu’Obama n’a pas encore fait entretenant sur ce point un double discours.
L’Amérique possède 2% des réserves connues d’hydrocarbure dans le monde. Sa production de pétrole brut s’établit aujourd’hui autour de 6 millions de barils/ jour. Après des décennies de baisse (le « peak » de production remonte à 1971 avec 9 millions de barils/jour), elle est de nouveau à la hausse. Le nombre de puits en activité, n’a jamais été aussi important. Mais cette production pourrait encore considérablement augmenter. Les gains de production récents proviennent de gisements déjà connus mais dont les réserves ont été rendues accessibles par l’amélioration des techniques d’extraction, notamment l’exploitation du « gaz de schiste » par « fracturation hydraulique », méthode récemment interdite en France.
C’est le cas du fameux gisement de Bakken, dans le Dakota du Nord. Sa découverte date de plus d’un siècle, mais la production vient d’y être relancée créant une mini ruée vers l’or noir. La capacité de ce gisement, qui se trouve sur des terres privées, ne dépassent cependant pas 5 milliards de barils. Soit neuf mois de consommation américaine...La solution au problème énergétique américain n’est donc pas là.
Si les Etats-Unis veulent envisager sérieusement l’autosuffisance en hydrocarbures, il leur faudra inévitablement explorer de nouveaux sites. Ils peuvent le faire, car ils possèdent à travers leur immense territoire et espace maritime, des régions pétrolifères encore inexplorées, comme en Alaska, au large des côtes de la Californie et dans le Golfe du Mexique.
Ces régions sont soit la propriété des Etats, soit des terres fédérales. Dans l’un et l’autre cas, les autorités ont pour l’instant interdit les forages. Au nom de la protection de l’environnement. A son entrée en fonction, l’administration Obama avait même annulé près de quatre-vingt baux accordés par l’équipe Bush estimant les évaluations environnementales insuffisantes. D’ailleurs selon l’American Petroelum Institute la production de pétrole provenant de terres fédérales a baissé de 44% depuis 2007.
Pressé par la crise actuelle le président Obama a assoupli, au moins en apparence, sa position. Ainsi le 23 février, lors d’un discours à l’Université de Miami, il a promis « d’ouvrir à l’exploration 75% de nos ressources en pétrole et gaz de l’Alaska au Golfe du Mexique ». Il a aussi évoqué « de nouvelles étapes vers l’exploration de l’arctique ». Une formulation suffisamment vague et mesurée pour plaire à tout le monde. Car sur le fond son crédo reste le même : « Quiconque prétend que l‘on peut sortir de notre dépendance en forant plus ne connaît pas le sujet ou ne dit pas la vérité… pour reprendre le contrôle de notre futur énergétique il nous faut une stratégie qui envisage l’ensemble des solutions – pétrole, gaz, éolien, solaire, nucléaire, bio-carburants et d’autres encore. »
Au contraire, sous le slogan « forer ici et maintenant » (Drill Here, Drill now) qui faut écho au « Drill Baby Drill » de Sarah Palin en 2008, Newt Gingrich et les candidats républicains ont promis de relancer sans complexe la production nationale. De même qu’ils ont promis d’autoriser la construction du Keystone XL, un pipeline géant (700 000 barils/jour) devant relier les champs d’hydrocarbure du Canada au delta du Mississippi et à la région des grands lacs. Projet qu’Obama vient de différer au nom de considérations…environnementales.
Ce débat sur la production domestique d’hydrocarbures et sur le prix de l’essence, n’est pas simplement économique. Il contient une dimension symbolique. Car il porte aussi sur l’image que l’Amérique a d’elle-même et sur sa place dans le monde.
La puissance américaine au XXe siècle a été bâtie sur l’industrie automobile. Dans les années 50, les designs extravagants et excessifs de ses « belles américaines » reflétaient la démesure et l’insouciance du pays. Il n’y avait alors aucune autre limite au rêve américain que celle du rêve ! Peu importait la taille, le poids et la consommation de ces véhicules. Il y avait la place et il y avait l’argent. L’Amérique ne comptait pas. Et elle faisait l’admiration du reste du monde…
Aujourd’hui cette ère est révolue. Depuis le premier choc pétrolier de 1973, et en dépit de périodes fastes de pétrole bon marché, comme les années 90, le monde en général et l’Amérique en particulier sont entrés dans l’ère du « pétrole cher ». Il faut donc changer de comportement. Une chose que nombre d’Américains ne sont toujours pas disposés à faire car ils associent l’ère de l’énergie bon marché avec leur domination du monde. Accepter le pétrole cher c’est accepter implicitement le déclin de l’Amérique. Ce n’est plus l’Amérique qui décide de son comportement, c’est le monde qui dicte son comportement à l’Amérique…
Si les démocrates, et en particulier Obama, sont prêts à faire que l’Amérique rentre dans le rang , les Républicains, et surtout les plus radicaux en leur sein, ne le sont pas. Pour eux l’Amérique, immense pays où « tout est grand », se définit par son « exceptionnalisme ». L’âme de l’Amérique, estiment-ils, est dans sa démesure, expression de sa liberté. Le jour où l’Amérique fera comme tout le monde… elle ne sera plus l’Amérique.