Elections américaines: “To Kill a Mocking Big Bird”
En avouant qu’il n’hésiterait pas à sacrifier Big Bird pour combler le déficit, Romney a rappelé la réalité des chiffres, mais surtout brisé un tabou.
La remarque a d’abord fait sourire. Puis elle a fait grincer des dents. Et elle a alimenté le « buzz » sur les réseaux sociaux d’Internet. Mitt Romney, veut tuer « Big Bird » ! Chacun y est allé de sa parodie...
Big Bird, c’est une marionnette vedette de l’émission pour enfants Sesame Street, diffusée depuis plus de quarante ans par la chaine de télévision publique américaine PBS (Public Broadcasting System). L’émission a été adaptée et diffusée en France (comme des centaines d’autres productions américaines) sous le nom de « rue Sésame », Big Bird devenant au passage « Toccata » (allez savoir pourquoi… ?)
Sesame Street est une institution aux Etats-Unis. Une émission phare reflet de l’esprit de la chaîne PBS. Et Big Bird est l’équivalent d’un ours en peluche cathodique. Tous les moins de cinquante ans ont appris à lire avec Big Bird et sa bande de monstres loufoques. Et les plus de cinquante ans sont retombés en enfance en regardant leurs enfants ou petits-enfants s’enthousiasmer pour ces pantins à poils et à plumes du petit écran.
Alors pourquoi sacrifier un tel trésor national ? Et surtout pourquoi le dire, comme cela, brutalement, devant 80 millions de téléspectateurs ?
C’est pourtant ce qu’a fait Mitt Romney. Car il a annoncé, sans préavis, que s’il était élu président, il supprimerait la subvention du gouvernement fédéral à la chaine PBS, dans le cadre des coupes budgétaires mises en place pour combler le déficit.
A la vérité l’annonce n’est ni nouvelle, ni originale, ni aussi terrible qu’il y parait. Par contre elle porte une forte charge symbolique. D’où la polémique…
Il n’y a pas de redevance pour la télévision aux Etats-Unis. Mais chaque année Washington contribue à hauteur de 450 millions de dollars au budget, non pas de PBS, mais de la CPB, « Corporation for Public Broadcasting ». La CPB est une organisation à but non lucratif fondée en 1967, par Lyndon Johnson et le Congrès, pour favoriser l’émergence d’une chaine de télévision à vocation « éducative ».
La CPB a donné naissance à PBS en 1969 et à NPR (National Public Radio) en 1970. Depuis, elle répercute les fonds du gouvernement fédéral aux stations locales affiliées à PBS ou NPR, à charge pour celles-ci de respecter un certain nombre de règles, dont l’absence totale de publicités (mais pas de messages de partenariat). La maison de production de Sesame Street, le Children Television Workshop, n'a jamais rien perçu de cette subvention.
Celle-ci ne représente d'ailleurs que 15% à 20% du budget de ces affiliés. 60% du budget provient de levés de fonds auprès des particuliers et de dotations d’entreprises, d’universités, ou de fondations, et les 20 à 25% restants, de taxes locales.
Deux fois par an les chaînes affiliées procèdent ainsi à de grands « téléthons » où elles sollicitent le soutien de leurs téléspectateurs et auditeurs. Des téléthons qui sont entrés dans la vie des Américains et font partie du paysage social et audiovisuel.
Supprimer cette subvention ne remettrait pas en cause l’existence de PBS et d’une télévision « publique ». Ce ne serait pas « tuer » ces chaînes. Mais cela les obligerait à combler un trou de 15% à 20% dans leur budget. Par une ouverture discrète à la publicité… ? Une sollicitation plus importante auprès de partenaires locaux… ? Ou par des économies ?
Pour cette raison, depuis pratiquement le lendemain de sa mise en place, certains demandent la suppression de cette subvention ! Rappelant qu’il n’appartient pas au gouvernement de financer des stations de télévision.
D’où la charge symbolique de la proposition de Mitt Romney !
Car au-delà de l’économie, somme toute minime, (l’équivalent de 0,03% du déficit en 2012), ainsi réalisée par Washington, c’est la question de la redéfinition du rôle du gouvernement qui est en jeu. Au fil des ans le gouvernement américain s’est insinué dans des domaines où les Pères Fondateurs ne l’auraient pas imaginé. Qu’il s’agisse de politique sociale ou culturelle.
En ce qui concerne PBS, la subvention se justifie d’autant moins aujourd’hui, qu’à la différence de 1967, où il n’existait que quelques chaines de télévision, toutes exclusivement « commerciales », il en existe des centaines à présent dont certaines à vocation « culturelle » ou « éducative »…
En évoquant Big Bird, Mitt Romney a ainsi voulu rappeler deux choses.
La première est que si les Américains sont sérieux quant à leur volonté de résorber le déficit budgétaire, il va leur falloir secouer certaines habitudes et délaisser le confort des années fastes. Ce qui, à l’évidence, n’a pas encore été fait. Et n’est sans doute même pas dans les esprits. Chacun sait qu’en matière d’économies, il n’y en pas de petites !
La seconde c’est que le gouvernement américain doit revoir sa mission à la baisse et ne pas s’insinuer dans tous les recoins de la vie quotidienne. Il existe des milliers de subventions, dont certaines bien plus coûteuses que PBS, mais pas forcément plus justifiées, ni nécessaires…Depuis 1970 le nombre de programmes subventionnés a doublé. Il en existe plus de deux mille aujourd’hui. Près de quatre cents ayant vu le jour depuis 2005, c’est-à-dire alors que la dette avait déjà commencé de s’envoler.
Bien plus que la disparition (non programmée) de Big Bird c’est cette affirmation-là qui a fait réagir les internautes.