Etats-Unis: Armes à feu, Pourquoi rien ne va changer, ou presque !

En dépit de l’émotion qu’elle suscite l’atroce tuerie de Newtown, ne changera pas la relation des Américains avec les armes à feu.

« Ces tragédies doivent cesser…  Il est temps de prendre des mesures significatives »  a dit le président Obama à l’issue de la fusillade de Newtown qui a fait vingt-sept victimes, dont vingt enfants d’âge élémentaire.
« Ce doit être la priorité numéro 1 si nous ne voulons pas 48 000 morts de plus d’ici 2016 » a renchéri Michael Bloomberg, maire de New York.
Deux cent mille signatures favorables au « gun control », c’est-à-dire à des restrictions sur la vente des armes à feu, ont été rassemblées sur le site de la Maison Blanche,  en quelques jours…
Si le président  le veut, si ses partisans le souhaitent, et si les Américains  le demandent, alors quelque chose sera fait… ? N’est-ce pas ? Eh bien, pas forcément.

Malgré l’émotion qu’elle suscite et le courant de cohésion nationale qu’elle a engendré, la tragédie de Newtown ne bouleversera  pas le rapport, quasi amoureux, que les Américains entretiennent avec les armes à feu. Une sorte d’amour à mort,  où la mort des uns vient comme renforcer l’amour des autres. Car au-delà du drame atroce, c’est la « culture des armes à feu» qui est en cause, la « gun culture » américaine. Et personne n’est décidé à la remettre en question.

Aux Etats-Unis douze mille personnes meurent par balle chaque année. A population égale c’est dix à vingt fois plus que dans n’importe quel autre pays occidental. Et mille fois plus qu’au Japon, où en 2008 on dénombrait en tout onze meurtres par balle! Mais au Japon personne ne possède d’arme à feu.  Aux Etats-Unis, tout le monde. Plus de trois cent millions de fusils, pistolets, revolvers et autres armes automatiques, seraient en circulation. Rien que dans les foyers américains.

S’attaquer au problème consisterait à aller récupérer ces armes et les extraire de la circulation. Cela est impossible et impensable. Impossible, parce que le droit de posséder une arme est garanti par le second amendement de la Constitution. Impensable, parce que les Américains, dans leur large majorité, sont très attachés à ce droit.  Les armes à feu sont dans l’ADN américain. Elles sont constitutives de l’identité américaine. Comme le mythe de l’ouest, le hamburger, l’automobile et le coca- cola.
Ce qui est, par contre, envisageable, est l’interdiction à la vente, de certaines armes, dont les fameux « fusils d’assaut », comme le «AR-15 », Automatic Rifle, utilisé par Adam Lanza à Newtown. Versions civiles d’armes militaires, (le AR-15 est un clone du M-16 utilisé par les GI’s), ces armes peuvent faire un grand nombre de victimes en un temps très court. Elles seront pointées du doigt. Peut-être bannies.

Mais cela ne changera pas grand-chose. Car elles ont déjà été interdites par le passé. De 1994 à 2004. Sans que cela ait un impact notable sur le nombre d’homicides… 
C’est l’historien américain Richard Hofsdtater qui a le plus récemment souligné et dénoncé la fascination américaine pour les armes à feu. Ce qu’il appelait la « gun culture ». Dans un essai paru en 1970, il écrivait : « De toutes les nations urbaines industrielles, occidentales ou autres, les Etats-Unis sont la seule qui persiste à entretenir une culture des armes à feu. C’est la seule nation industrielle où de nombreux citoyens possèdent, en toute légalité, des armes, fusils ou pistolets (…); la seule nation   si attachée à un supposé droit de port d’armes que ses lois protègent les assassins, les criminels, les meurtriers et les terroristes aux dépens des citoyens honnêtes; la seule nation déterminée à ne rien faire pour enfreindre ce droit, tant ses citoyens, par ailleurs intelligents et instruits, demeurent convaincus que la possession d’une arme est leur meilleure garantie de sauvegarde de la démocratie et de leurs droits individuels ».

A l’époque les homicides venaient de connaître une soudaine augmentation. Leur nombre avait doublé en cinq ans, passant la barre symbolique des dix mille par an. Et le pays avait perdu au cour de la décennie écoulée trois de ses leaders les plus appréciés, le président John Kennedy, son frère Robert et Martin Luther King, tous tués par balle.
L’émotion était forte et les appels au « gun control » nombreux. A l’arrivée, il ne se passa rien. Ou presque. Et le nombre d’homicides continua de progresser jusqu’ aux années 1990, sous le double effet de la libre circulation des armes et de la guerre des gangs pour le contrôle du trafic de drogue dans les ghettos.
Après avoir atteint un pic de près de quinze mille en 1989, le nombre de meurtres par armes à feu est progressivement redescendu sous la barre des dix mille. Revenant ainsi à son niveau du début des années soixante.  Les « anti-guns » créditent une loi de 1994 interdisant la « production, l’importation ou la vente de fusils d’assaut » pour cette baisse. Les « pro-guns » créditent la bonne santé de l’économie américaine, qui a sorti des gens de la rue en leur donnant un travail et fait reculer le trafic de « crack-cocaïne » dans les banlieues noires.

La loi de 1994 ayant une durée d’application de dix ans, une grande étude fut menée en 2004 pour déterminer son incidence. Là,  surprise ! Incidence négligeable, disent les experts. Du coup la loi n’a pas été prolongée. Les fusils en questions ont été à nouveau fabriqués et mis en vente. Ils sont, à croire la NRA, le lobby « pro-gun », une des « armes les plus populaires des Etats-Unis ».    La  NRA recommande d’ailleurs à ses membres d’en faire l’achat tant que cela est possible, anticipant en quelque sorte une interdiction annoncée…

Malgré cette remise en circulation, le chiffre des homicides par arme à feu a continué de régresser jusqu’en 2009. Et avec lui le nombre d'Américains favorables à des restrictions sur les armes. La question est sortie  du débat politique et a été largement absente de la dernière campagne présidentielle. Par contre,  les « tueries de masse », (mass shootings)  du type de ce qui s’est passé à Newtown, se sont multipliées. 

Mais ces incidents, aussi effroyables et choquants soient-ils ne représentent qu’une infime minorité des meurtres commis aux Etats-Unis. Même si leur nombre est en augmentation, leurs victimes se comptent par dizaines quand les victimes d’homicides se comptent par milliers. Ils ne sont pas le fait d’individus ayant légalement acquis leurs armes, mais le fait d’individus très perturbés dont la condition mentale, ou l’âge, les empêchaient déjà d’avoir accès à de telles armes. Ils se produisent indépendamment de la règlementation. De nombreux pays, où les armes sont contrôlées, en ont d’ailleurs connus récemment: la Norvège en 2011, 77 mort ; l’Australie en 1996, 35 tués ; l’Allemagne en 2002 et 2009, quinze et douze morts, l’Ecosse en 2006, 17 morts, etc.

D’où les critiques des « pro-guns ». Pour eux, retirer ces fusils de la circulation empêchera uniquement  les «honnêtes citoyens"  d’y avoir accès. Les bandits sauront se les procurer, et les autres trouveront un moyen. La mesure ne fera donc pas baisser le taux des homicides par balles. De plus le sénateur de Californie, Diane Feinstein, auteur du texte de loi de 1994 et qui se propose de le soumettre à nouveau au Congrès en janvier, a souligné, comme pour ne pas se mettre à dos l’électorat « pro-gun » que son projet de loi « laissera en circulation  plus de 900 types d’armes».

Comments

[Don Hank]

Ironiquement, presque toutes les fuisillades mortelles du type Newtown ou Aurora se sont produites dans les zones dites 'libres d'armes' ou gun free zones. Les assassins ne sont pas stupides.