Choc des Civilisations: le monde vu de Moscou

28 septembre 2013

En 2009 Aymeric Chauprade avait choqué le monde, plutôt consensuel et douillet de la géopolitique, en présentant, en ouverture de sa « Chronique du Choc des Civilisations », la thèse d’un complot américano-sioniste pour expliquer les attentats du 11 septembre 2001. Une thèse qui jusqu’alors n’avait émané que de groupuscules marginaux, idéologiquement très marqués, et sans crédibilité. Cette prise de position lui avait valu d’être limogé sur le champ de son poste d’enseignant au Collège Interarmées de Défense, par le ministre de tutelle d’alors, Hervé Morin. Pour justifier sa décision le ministre avait dénoncé « un texte au travers duquel passent des relents inacceptables. Sur onze pages, on nous parle d'un complot israélo-américain imaginaire visant à la conquête du monde… ». Le ministre n’avait pas eu à préciser ce qu’il entendait par « relents inacceptables ». Chacun l’avait compris…

Dans la nouvelle édition, mise à jour, de la « Chronique du Choc des Civilisations », l’article en question a disparu. Mais pas vraiment les thèses qu’il soutenait. M. Chauprade est animé par un anti-américanisme et un tropisme pro-russe, qui colorent sa vision du monde, et lui font systématiquement déformer l’histoire dès qu’il évoque l’un ou l’autre de ces pays. Son ouvrage, vaste état des lieux des conflits qui émaillent la planète, pourrait tout simplement s’appeler « Le monde vu de Moscou », car c’est cette vision exclusive de la géopolitique mondiale qu’il présente.
Deux exemples suffiront à le montrer.
En tête de son livre M. Chauprade reprend l’idée que les Etats-Unis ont envahi l’Afghanistan puis l’Irak en 2001 et 2003 « pour s’assurer le contrôle des ressources énergétiques du Moyen Orient » ! Certains mythes ont la vie dure. En voici un. Tellement aberrant qu’il faut de très sérieux a priori idéologiques pour oser encore le soutenir. Car il constitue une erreur d’analyse grossière. Démentie par tous les faits.. Les Américains avaient déjà la main mise sur ces ressources, via une alliance avec l’Arabie Saoudite qui remonte à Franklin Roosevelt, c’est-à-dire aux années 1930 ! Il n’y a pas de pétrole en Afghanistan. Enfin pour se procurer le fameux or noir, il y avait un moyen beaucoup plus simple que faire la guerre. Ils pouvaient l’acheter. Les pays producteurs du Moyen Orient, qui ont aussi besoin de vivre, n’ont rien d’autre à vendre. Même à cent-cinquante dollars le baril, la facture aurait été infinitésimale comparée au milliard de dollars quotidien que leur ont coûté ces deux engagements…

Quelques pages plus loin, M. Chauprade développe l’idée, déjà présente dans la première édition, que les « révolutions de couleurs » dans le Caucase ou en Ukraine dans les années 2000, émanaient d’une volonté délibérée « d’encercler la Russie ». C’est faire bien peu de cas des aspirations à la liberté des peuples en question. C’est aussi ignorer délibérément la réalité géographique. La Russie est le plus vaste pays de la planète et sauf à contrôler l’ensemble de cette planète y compris l’océan arctique, son encerclement est impossible. Prétendre que le basculement de la Géorgie était le début de cet encerclement c’est comme de placer une souris à côté d’un éléphant et de dire qu’elle maîtrisera très vite ce dernier, pour peu que quelques autres souris se joignent à elle… Mais la théorie de l’encerclement est une vieille rengaine de la géopolitique russe. Elle fut abondamment utilisée par le régime soviétique en son temps… Que M. Chauprade reprenne de telles thèses à son compte, au mépris de la plus élémentaire observation des cartes, prive de crédibilité beaucoup de ses arguments.
On regrettera aussi qu’en quatre ans, il n’ait pas pris le temps d’examiner la politique étrangère de l’administration Obama - il n'y a rien, dans cette nouvelle édition, sur les retraits et absences américains de la scène internationale, ni sur le « Siècle du Pacifique » annoncé par Hillary Clinton - et qu’il en soit encore à dénoncer des « néo-conservateurs », alors que ceux-ci, en totale déroute intellectuelle, sont devenus inaudibles, voire inconséquents, dans le débat de politique étrangère aux Etats-Unis.

M. Chauprade observe le monde avec des œillères idéologiques qui le rendent aveugle aux réalités les plus flagrantes.
C’est regrettable car il a par ailleurs le mérite de souligner quelques évidences trop souvent ignorées. Ainsi le fait que le Kosovo n’est pas viable et que la réorganisation des Balkans n’est donc pas achevée. Une résurgence de la violence est probable à moyen terme. Ou bien le fait que les chrétiens persécutés dans de nombreux pays et ces persécutions sont presque exclusivement le fait de majorités musulmanes. Ce que l’on se prive bien de dire dans les pays occidentaux qui « accueillent » d’importantes communautés issues du monde islamique. L'islam, justement, est présenté ici, comme « une religion de combat », ce que les personnalités politiques françaises refusent catégoriquement d’admettre, au mépris de l’évidence historique.