Syrie-Irak : Au cœur du Moyen Orient compliqué
L’engagement du Président Obama et de la coalition internationale contre le groupe « Etat islamique au levant » brouille un peu plus encore le jeu des alliances, déjà complexe, au Moyen-Orient.
Le président des Etats-Unis Barack Obama s’est engagé, dans une guerre contre le groupe terroriste sunnite « Etat Islamique au Levant », dont les initiales donnent EIL en français et ISIS en anglais. Il est soutenu et assisté par une vaste coalition internationale qui inclut la France, le Royaume Uni, le Canada, l’Australie, l’Arabie Saoudite, la Turquie, la Jordanie, le Qatar, l’Egypte et d’autres. Tous ces partenaires ne prendront pas forcément part aux opérations « militaires », mais tous soutiennent Washington dans sa volonté « d’affaiblir et au final de détruire », ISIS, qui a pris le contrôle d’une partie de l’Irak et de la Syrie pour y instituer un nouveau Califat, et s’est lancé dans une campagne de terreur en mettant en scène l’exécution en masse de prisonniers de guerre et la décapitation d’otages occidentaux.
Dans ce combat les lignes de partage du Moyen Orient, déjà nombreuses et confuses, sont à nouveau brouillées.
La Syrie est une nation de 18 millions d’habitants. La population se répartit entre musulmans sunnites, 75%, musulmans chiites, 12%, chrétiens, 10%, et druzes, 3%. La famille Assad qui dirige le pays depuis 1970 provient de la minorité Alaouite, qui constitue l’essentiel des éléments chiites du pays. Le régime politique qui soutient cette famille est celui du parti Baas, dont les deux piliers sont laïcité et panarabisme.
L’Irak, pays frontalier de la Syrie au sud-est, est deux fois plus grand et compte deux fois plus d’habitants, 36 millions environ. Le pays est 65% chiite et 30% sunnite. Les chrétiens étaient encore il y a peu, plus d’un million, soit 3% de la population. Mais beaucoup ont fui victimes de répressions. On dénombre quelques autres minuscules minorités religieuses dont les Yézidites au nord. Le pays compte aussi dans son tiers nord-est une importante communauté Kurde, également présente en Syrie, en Turquie et en Iran, qui pratique un islam sunnite modéré, mais n’a jamais disposé de foyer national.
Comme son voisin Syrien, l’Irak a été longtemps dirigé par le Parti Baas en la personne de Saddam Hussein. Depuis sa chute en 2003 les chiites ont repris les rênes du pays par le seul fait de leur domination démographique. Cette alternance qui s’est accompagnée de règlements de compte et d’un népotisme ancré dans une culture clanique et tribale, n’a jamais été acceptée par la minorité sunnite. De sorte que le pays est en état de guerre civile larvée.
Sur le plan international, la Syrie, et l’Irak d’après 2003, sont tous deux des alliés de l’Iran, grande puissance régionale chiite. Ils constituent un « arc chiite » continu au Moyen Orient de même qu’une courroie de transmission avec le Hezbollah du Liban, parti radical religieux chiite, instrumentalisé par l’Iran dans sa politique de harcèlement contre Israël.
Le soulèvement populaire contre le régime de Bachar el Assad en 2012 a été, dans un premier temps, soutenu et encouragé par les pays occidentaux, dont les Etats-Unis, qui y voyaient, à la fois, un exemple de « volonté démocratique », et un moyen de briser « l’arc chiite ». Ce soulèvement a également reçu l’appui logistique et financier des monarchies du Golfe, principalement l’Arabie Saoudite, qui pratique un islam très rigoriste, le wahhabisme. Ces pays ont d’ailleurs, comme à l’accoutumé, soutenu les mouvances salafistes au sein de ces rébellions, même celles se réclamant d’Al Qaida. Cette double allégeance a obligé Américains, et Français à leur suite, à prendre leur distance avec l’insurrection. Quitte à laisser Bachar al Assad renverser le rapport de force en sa faveur. Depuis que l’EIL, mouvance la plus violente et la plus radicale a pris le dessus sur place, ces mêmes monarchies ont, à nouveau, revu leur politique et se sont ralliés aux Occidentaux, contre les radicaux sunnites.
Pour trois raisons. Un, l’image de l’islam présentée par EIL a été jugée néfaste sur le plan international ; deux EIL est apparu comme une force déstabilisatrice, en offrant aux fanatiques une alternative encore plus rigoriste; trois, la campagne militaire internationale peut favoriser l’émergence d’une opposition crédible capable de renverser ensuite le régime de Bachar al Assad.
Mais pour Barack Obama, pas question de s’allier avec qui que ce soit sur place pour l’instant. Si la tradition orientale veut que « l’ennemi de mon ennemi soir mon ami », pour Obama, « l’ennemi de mon ennemi reste un ennemi ». En clair même si faire la guerre à EIL peut favoriser le régime d’Assad en affaiblissant son ennemi, l’objectif à long termes des Etats-Unis reste de voir son régime tomber. Sans savoir qui le remplacera, car les groupes en mesure de le faire aujourd’hui sont eux même proches d’autres réseaux terroristes… La ligne adoptée par les Américains et les occidentaux est ici très périlleuse. La seule opposition qu’ils aimeraient soutenir en Syrie, l’opposition laïque et « occidentalisée », est en lambeaux, victime de rivalités internes, des attaques du clan Assad d’un côté, et des radicaux religieux de l’autre… et dont les membres, issus de la bourgeoisie, ont préféré se réfugier à l’étranger.
Dans ce jeu d’alliances complexes, la Turquie occupe une place à part. C’est un pays musulman, dirigé par un gouvernement islamique. C’est aussi un allié traditionnel de l’occident, membre de l’Otan, qui y possède de nombreuses bases militaires. Mais c’est encore un pays qui abrite une minorité kurde, toujours réprimée pour ses velléités indépendantistes. Le gouvernement du président Recep Tayip Erdogan joue donc sur trois tableaux et pour l’instant privilégie sa sécurité intérieure et sa couleur religieuse. Il laisse passer en Syrie les volontaires djihadistes venus d’Europe pour rejoindre les rangs de l’EIL. Et il a refusé d’intervenir pour soutenir les Kurdes syriens assiégés de l’autre côté de la frontière à Kobané depuis des semaines.
Enfin ce conflit se déroule dans un climat de nouvelle « guerre froide » entre Washington et Moscou. Dans son discours devant l’Onu, Barack Obama a sévèrement critique « l’agression russe » en Ukraine. Alors que Vladimir Poutine continue de soutenir son allié Bachar al Assad, et d’opposer toute forme d’ingérence extérieure.
L’Afrique demeure une spectatrice très intéressée du conflit. Malgré la distance géographique qui la sépare du théâtre des opérations, l’Afrique sub-saharienne est concernée au premier chef par le terrorisme islamique. Le sort réservé à l’EIL aura des répercussions sur l’avenir de groupes terroristes actifs sur son propre sol, comme Boko Haram et Aqmi.