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France-Amérique le blog de Gérald Olivier
26 juin 2022

Etats-Unis: Roe v Wade invalidée, la contre révolution conservatrice est en marche

 Abortion fight pro life generation 2

Le 24 juin 2022 par six voix contre trois les juges de la Cour Suprême des Etats-Unis ont invalidé la décision Roe v Wade de 1973 protégeant l’avortement et ils ont rendu aux cinquante Etats la possibilité de légiférer individuellement sur cette question.  Cette décision, bien qu’attendue, est un séisme politique. Cette date est déjà entrée dans l’histoire.

SCOTUS 2021

L’avortement est la question qui a le plus divisé et polarisé l’Amérique au cours du demi-siècle écoulé. Symbole des avancées du progressisme, au début des années 1970, elle est devenue une ligne de fracture entre une Amérique profonde, religieuse, conservatrice et traditionnaliste, et une Amérique urbaine, laïque, socialement libérale, passée par les universités, et plus aisée. La première s’est rangée derrière le parti Républicain, la seconde, le parti Démocrate.  La seconde considérait Roe v Wade comme une avancée sociale irréversible, la première comme une tragique erreur à corriger. Et pendant cinquante ans elle a mené un combat sans relâche pour la faire invalider. Jusqu’à une victoire longtemps jugée improbable voir impossible.

Abortion fight Jane Roe (pseudo) & lawyer

Cette décision ne rend pas l’avortement illégal aux Etats-Unis. Elle renvoie les Américains à la situation en vigueur avant 1973, soit pendant près de deux cents ans. Les législations de chaque Etat reprennent leur droit. A savoir.

La procédure est légale dans vingt-deux Etats : Alaska, Californie, Caroline du Nord, Colorado, Connecticut, Delaware, Hawaï, Illinois, Maine, Maryland, Massachusetts, Minnesota, Montana, Nevada, New Hampshire, New Mexico, New Jersey, New York, Oregon, Rhode Island, Vermont, Washington.

Elle est, ou va être, interdite (sauf en cas de viol, inceste ou pour sauver la vie de la mère) dans 15 Etats : Alabama, Arkansas, Dakota du Nord, Dakota du Sud, Idaho, Kentucky, Louisiane, Mississippi, Missouri, Oklahoma, Tennessee, Texas, Utah, Virginie de l’Ouest, Wyoming. 

abortion USA stateby state laws

 

Elle fait l’objet de restrictions dans sept Etats : Arizona, Caroline du Sud, Floride, Géorgie, Indiana, Iowa, Ohio.

Elle est autorisée dans six Etats (mais la législation pourrait évoluer) : Kansas, Michigan, Nebraska, Pennsylvanie, Virginie, Wisconsin.

Dans ces six derniers Etats, la question va devenir un enjeu électoral immédiat. Il est acquis qu’elle sera au cœur de la campagne pour les élections intermédiaires du 8 novembre.

abortion fight 2022

Pour le camp conservateur ce moment marque le triomphe de la persévérance politique, et un retour bienvenu aux valeurs traditionnelles. Pour le camp démocrate il illustre au contraire une percée du conservatisme et la menace que ses partisans font peser sur les avancées sociales des dernières décennies, notamment en matière de mœurs sexuelles.

Au contraire de nombreux pays européens, les Etats-Unis, n’ont jamais eu un débat national sur la question de l’avortement. Le Congrès n’a jamais eu le courage de prendre cette question de front pour faire voter une loi fédérale décidant une fois pour toute de la question. A la place, le Congrès et les partisans de l’avortement se sont reposés sur une décision de la Cour Suprême, de 1973, obtenue à l’époque à sept voix contre deux, et reconnaissant l’existence dans la Constitution d’un droit à la vie privée garant d’un droit à l’avortement.

Supreme_court_1972

La légalité de l’avortement n’était donc pas établie dans la loi mais reposait sur une lecture de la constitution, sur une simple interprétation du texte, susceptible d’être remise en cause… Et c’est ce qui s’est passé. La décision de 1973 fut d’ailleurs immédiatement attaquée. Sur le fond et sur la forme. Loin de clore le débat, elle le provoqua.

Sur le fond cette décision fut attaquée comme un abus de pouvoir de la part du gouvernement fédéral. Les Etats-Unis sont une fédération.

Supreme Court of the United States 2

La constitution stipule que tous les pouvoirs non explicitement conférés au gouvernement fédéral sont réservés aux Etats (10e amendement de la Charte des Droits). Le droit de légiférer sur l’avortement avait fait partie de ces droits réservés aux Etats depuis la naissance de la nation américaine. Or via la Cour Suprême, donc via neuf juges non élus, mais nommés par différents présidents, Washington venait d’imposer une norme nationale  et passer outre les législations particulières des différents Etats. Byron White, l’un des deux juges à avoir voté contre Roe v Wade en 1973, écrivit dans son opinion dissidente, que la décision constituait un « abus brutal du pouvoir judiciaire. ». Jusqu’alors chaque Etat avait sa propre loi sur l’avortement. Les citoyens américains étaient libres de vivre, là où bon leur semblait, et de choisir un Etat au plus proche de leurs valeurs. Cette liberté venait de disparaître. La légalisation de l’avortement était un empiétement  supplémentaire du pouvoir central de Washington aux dépens de celui des Etats.

byron_white supreme court judge

 Sur la forme, le raisonnement juridique ayant conduit les juges à leur décision était fragile et contestable. Pour eux, il existait dans la Constitution un droit à la vie privée, qui donnait à une femme le droit d’interrompre une grossesse. Pour tenir ce raisonnement ils se basaient non pas sur le texte de la Constitution même – qui ne parle ni de l’avortement ni de la vie privée – mais sur certains amendements de la Constitution, notamment ceux ayant trait aux libertés individuelles, au principe d’égalité devant la loi, et à la protection des citoyens contre les décisions arbitraires (« due process »). Le problème était que ces amendements ne parlaient pas non plus explicitement d’un droit à la vie privée et encore moins d’un droit à l’avortement. Les juges avaient alors écrit que c’est dans « la pénombre et les émanations » du texte constitutionnel que l’on trouvait la justification de ces droits.  Ils avaient d’ailleurs référencé d’autres décisions passées allant dans ce sens et qui faisaient selon eux jurisprudence.

Justice Samuel_Alito_official_photo

C’est précisément ce raisonnement que les juges de 2022 ont invalidé. La décision Dobbs vs Jackson Women’s Health Organization, du 24 juin,  rédigée par le Juge Samuel Alito, argumentée sur plus de deux cents pages, et approuvée par cinq autres juges (John Roberts président de la Cour, Clarence Thomas, Neil Gorsuch, Bret Kavannaugh et Amy Coney Barrett), affirme qu’il n’existe pas dans la Constitution de droit à l’avortement, que les libertés garanties par les premiers amendements ne couvrent pas ce droit et qu’il n’est pas enraciné dans l’histoire et les traditions  américaines. En conséquence l’interruption de grossesse ne peut faire l’objet d’une protection constitutionnelle nationale. « Le droit de légiférer sur cette question est rendu au peuple et à ses représentants élus. » C’est-à-dire aux assemblées de chaque Etat, et au Congrès.

Abortion fight Pro life generation

 Pour le lobby "pro-life" et les chrétiens évangéliques, cette décision représente un triomphe, auquel ils ne croyaient plus après cinquante ans de lutte. Les chaines de télévision ont braqué leurs caméras sur la colère des féministes et des « pro-choice », (craignant ou souhaitant des débordements de violence), mais l’annonce du 24 juin a suscité une immense joie au sein de pans entiers de la société américaine et parmi les hommes et les femmes du mouvement « pro-life ».  Parce qu’ils n’ont eu de cesse de harceler les tribunaux pour obtenir que la Cour Suprême réexamine la question, et de harceler les élus du parti Républicain pour placer au sein de cette Cour une majorité de juges conservateurs, sympathiques à leur cause.

Ils y étaient parvenus  une première fois au début des années 1990. La Cour Suprême devait considérer la légalité de restrictions imposées par l’Etat de Pennsylvanie sur la pratique de l’avortement dans l’affaire Planned Parenthood of Southesatern Pennsylvania vs Casey. Elle comptait alors six juges nommés par des présidents Républicains, dont trois nommés par Ronald Reagan (Antonin Scalia, Anthony Kennedy et Sandra Day O'Connor), deux par Georges H.W. Bush (Clarence Thomas et David Souter) et un par Richard Nixon (William Rehnquist, président de la Cour). Mais trois de ces juges (Kennedy, O'Connor et Souter) s’étaient rangés avec la « minorité » pour s’opposer aux restrictions et renforcer la légalité de l’avortement. Parmi les arguments invoqués pour justifier leur décision figurait l’idée qu’une décision allant dans le sens opposé aurait fragilisé la Cour en remettant en question ses décisions antérieures…

Abortion fight march for Life 2022

En clair, ces trois juges ne s’étaient pas estimés en droit d’invalider une décision de leurs aînés. Alors même que par le passé les juges de la Cour Suprême ont pu revenir sur des décisions antérieures. Deux très célèbres décisions ont ainsi été plus tard révisées et annulées. En 1857, par sa décision dans le dossier Dred Scot, la Cour Suprême avait estimé que les droits et libertés constitutionnelles ne s’appliquaient pas aux Noirs, esclaves ou libres. En 1896, dans l’affaire Plessy vs Ferguson, elle avait opiné que la ségrégation raciale était constitutionnelle, tant qu’elle débouchait sur « deux systèmes séparés mais égaux ».  Ces deux décisions ont été par la suite invalidées.

A l’évidence les juges de 2022 ont estimé qu’il était temps de corriger l’erreur de leurs ainés. Les arguments des militants « pro-life » ont donc fini par être entendus. Et pour cela il a fallu l’intervention déterminante d’un président. En l’occurrence Donald Trump.

Judge Neil Gorsuch with president Trump

 La décision Dobbs est une conséquence  directe de l’élection de Donald Trump en 2016. Elle est la preuve que les présidents  peuvent influer sur la politique au-delà de leur mandat. Au cours de ses quatre ans à la Maison Blanche, Trump a en effet eu la possibilité de nommer trois juges à la Cour Suprême. Une opportunité exceptionnelle, liée à un concours de circonstances particulier qui ne s’était jamais présenté jusqu’alors. Un siège était vacant quand il a été élu, et deux se sont libérés pendant son mandat. Les trois juges qu’il a nommés – Neil Gorsuch, Bret Kavanaugh et Amy Coney Barret - sont venus renforcer une majorité conservatrice forte déjà de trois membres: Clarence Thomas, Samuel Alito, et John Roberts.

Amy-Coney-Barrett with president Trump

 C’est d’ailleurs ce qui rend furieux et inquiète le plus les Démocrates et leurs sympathisants progressistes. Ces six juges ont entre cinquante ans pour la plus jeune (Barret) et soixante-quatorze ans pour le plus âgé, Clarence Thomas. Sauf accident, ils vont siéger pendant des décennies, garantissant à la Cour Suprême une majorité conservatrice susceptible de détricoter un certain nombre de décisions passées. C’est clairement ce qu’a laissé entendre le juge Thomas dans son opinion concordante, appelant à ce que dans la suite de Roe, d’autres décisions controversées de la Cour – sur le mariage homosexuel par exemple – soient reconsidérées.

Justice Clarence_Thomas

Face à cela les Démocrates ont appelé à porter le nombre de juges de neuf à quinze ! Une proposition appelée « court packing »  que le président Rossevelt avait tenté d’imposer dans les années trente. Sans succès. Pour cela il leur faudrait déjà avoir une large majorité au Congrès. Ce qui n’est pas le cas pour l’instant.

Ils espèrent que la décision Dobbs servira à remobiliser leurs troupes pour les élections de mi-mandat  (midterms)  du 8 novembre. Ils en auront bien besoin. La politique désastreuse de l’administration Biden (inflation, criminalité,  immigration, crise de l’énergie, déficits explosifs, etc) laisse au contraire attendre une déroute des Démocrates et un contrôle du Congrès par les Républicains. La contre révolution conservatrice est en marche…

 

 

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Commentaires
B
'Pour le lobby pro-life et les chrétiens évangéliques cette décision représente un triomphe, auxquels ils ne croyaient plus après cinquante ans de lutte.'<br /> <br /> <br /> <br /> SI, ils y croyaient car ils n'ont jamais reculé dans leurs actions ! ALLELUIA !<br /> <br /> et ils vont continuer leur lutte.
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