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France-Amérique le blog de Gérald Olivier
6 janvier 2023

Etats-Unis, élection du « Speaker » de la Chambre : Les raisons cachées de la bataille du perchoir

  Speaker chair vacant

 En politique, il y a ceux qui viennent pour « servir », et ceux qui viennent pour « se servir ». 

 Les seconds prennent souvent le pas sur les premiers. C’est le cas aux Etats-Unis depuis un demi-siècle. Mais cela pourrait commencer à changer. C’est l’un des enseignements inattendus de la furieuse bataille que se livrent les élus Républicains de la Chambre des Représentants autour de l’élection de leur « speaker ».

  Explications.  

  Le « speaker » est le patron de la Chambre des Représentants. L’équivalent du président de l’Assemblée nationale en France. Son élection tient habituellement de la routine. Lors de l’ouverture d’une nouvelle session du Congrès (il s’agit ici en l’occurrence de  la 118e ,qui va de janvier 2023 à décembre 2024) le chef du parti majoritaire à la Chambre est désigné par ses pairs comme « speaker » et élu dans la foulée, par un vote à haute voix.

Speaker vote

 Cette fois les choses sont différentes. Au sein du camp Républicain, quelques élus frondeurs ont refusé de voter pour le candidat désigné, Kevin Mc Carthy.  Parce que les Républicains ne disposent que d’une infime majorité (quatre sièges), ces frondeurs ont pu priver Mc Carthy de la victoire pendant quatorze tours de scrutin. McCarthy refusant de céder la place à un autre candidat, le processus a pris quatre jours au lieu d'une heure...

 Depuis quatre jours les Américains ont donc assisté en direct au spectacle de la désunion du parti Républicain. Certains médias parlent déjà de « crise institutionnelle » et dénoncent « le chaos républicain ». Analyses erronées, orientées et excessives. Si ces médias étaient financés par le parti Démocrate, ils ne diraient pas autre chose…

Kevin Mc Carthy 2

 En réalité, il n’y a ni crise, ni chaos. Au contraire.  Les Américains n’ont rien à perdre devant un tel spectacle. En politique, la transparence n’est jamais un mal. Elle est même la condition incontournable de la crédibilité des institutions. Ceux qui fustigent les frondeurs Républicains sous prétexte qu’ils menaceraient les institutions, sont justement ceux qui profitent de l’opacité du système. Loin de défendre la démocratie, ils l’ont usurpée et détournée.

 Ce processus de contestation ouverte est l’expression même de la démocratie.  D’ailleurs il s’est déjà déroulé plus d’une douzaine de fois dans le passé sans que personne ne s’en offusque. En 1856, il avait fallu 143 tours de scrutin pour désigner le Speaker. En 1923 il en fallut neuf.  Récemment toutefois ces joutes au grand jour avaient disparu. Les négociations visant à désigner un candidat consensuel se faisaient en coulisse. Avant le vote. Rien n’en filtrait. Et, le moment venu, les élus du parti majoritaire votaient comme un seul homme. Brillante démonstration d’unité qui berçait les électeurs dans l’illusion d’un système parfaitement huilé et totalement ouvert quand en réalité il cachait des marchandages de bas étages, indignes du prestige et des responsabilités associés à un siège d’élu du Congrès.

Speaker Congress

 Le fait qu’en ce mois de janvier 2023 certains élus républicains aient refusé de jouer ce petit jeu et décidé de porter leurs divergences sur la place publique est un bouleversement. Cela indique qu’au sein du Congrès on trouve enfin des élus qui refusent « la politique à la papa », celle des petits arrangements entre amis, et qui préfèrent étaler leurs divergences sur la place publique pour démontrer à leurs électeurs qu’ils font le travail pour lequel ils ont été élus, plutôt que de rentrer dans le rang et profiter à leur tour de leur position de pouvoir et de privilège.

 Mais ce n’est pas tout. Et le reste est plus problématique pour l’avenir des Républicains. Car le débat autour du poste de Speaker illustre aussi l’absence de leadership au sein du parti. Ceux qui prétendent que c’est le « parti de Trump » ont, sous les yeux, la preuve du contraire. L’ancien président a appelé à la fin de la fronde et à l’élection de McCarthy. A l’évidence il n’a pas été écouté. Ce qui préfigure inévitablement d’une bataille à venir pour la désignation du candidat républicain à l’élection présidentielle de 2024…

Donald Trump 9

 Dans les institutions américaines, le poste de Speaker de la Chambre est très important. Son détenteur se trouve deuxième en ligne de succession, juste après le vice-président, en cas de vacance à la tête de l’exécutif. Son détenteur préside et conduit les débats au sein de la Chambre des Représentants. De manière symbolique il est muni du maillet qui permet d’imposer l’ordre. C’est lui qui nomme les présidents des commissions, dispose d’un droit de véto sur la composition de ces commissions et décide de l’agenda parlementaire. C’est aussi lui qui informe régulièrement le président de l’avancement des textes de lois et négocie au besoin de leur contenu, directement avec la Maison Blanche.

 C’est traditionnellement un élu de la Chambre. Mais la constitution ne stipule pas qu’il doive en être membre. C’est la raison pour laquelle certains ont mentionné le nom de Donald Trump à ce poste. L’ancien président a d’ailleurs reçu le vote du député de Floride Matt Gaetz lors d’un tour de scrutin.

newt-gingrich

 Habituellement c’est le député le plus expérimenté, ou le plus influent, qui hérite du siège. Par le passé certains « Speakers » ont occupé le poste pendant des années et eu une grande influence sur la politique américaine, tels les Démocrates Sam Rayburn et Tipp OP Neil respectivement dans les années 1940 - 1950 et 1980, et le Républicain Newt Gingrich dans les années 1990. Nancy Pelosi, la « speaker » sortante, fut la première femme à « disposer du maillet ». Elle a occupé le poste à deux reprises, de 2007 à 2010 puis de 2019 à 2022.

Nancy Pelosi speaker gavel

 Le candidat désigné par les Républicains pour la nouvelle session s’appelle Kevin McCarthy. C’est un élu de 57 ans, marié et père de deux enfants, représentant un district agricole de Californie, élu pour la première fois en 2006 et réélu à un neuvième mandat en novembre dernier. Il était chef de la minorité républicaine lors de la session parlementaire précédente et son ambition de devenir « speaker » est légitime.

 Pourtant après trois journées de discussions et onze tours de scrutins il lui manquait toujours le soutien d’une quinzaine d’élus pour obtenir les 218 voix nécessaires à son élection. A chaque tour de scrutin sa candidature et était présentée par un élu Républicain et à chaque tour de scrutin vingt élus Républicains récalcitrants refusaient de lui accorder leur vote, limitant son total à 202 voix. Les Démocrates assistaient passivement à cette joute procédurière. A chaque tour de scrutin ils présentaient leur champion, toujours le même, Hakim Jeffries, un élu Noir de New York, qui faisait l’unanimité des voix démocrates. Mais ceux -ci n’étant que 212, il échouait aussi à six voix de la majorité.

Kevin Mc Carthy

Les Démocrates auraient pu, à tout moment,  faire pencher la balance en faveur de McCarthy. Il aurait suffi à certains d’entre eux de s’abstenir. Car le calcul de la majorité se fait sur le nombre des votants. Avec 435 votants cette majorité s’établit à 218. Mais dans le cas d’une participation de seulement 400 votants, la majorité s’établirait à 201 voix. Fort de 202 soutiens prouvés, McCarthy serait alors élu…. En bons politiques, les Démocrates ont préféré ne pas se mêler des querelles de leurs adversaires et plutôt dénoncer leur incurie et leur amateurisme sur les chaines de télévision…

Au quinzième tour de scrutins finalement Mc Carthy a obtenu 216 voix, tandis que six frondeurs se sont abstenus, abaissant la barre de la majorité à 214 et offrant la victoire à McCarthy

 Pourquoi donc les frondeurs rejetaient-ils Kevin Mc Carthy avec une telle obstination ? Et que voulaient-ils en échange de leur soutien ?

speaker election chaos

 La réponse à la seconde question est relativement simple. Ils veulent plus de pouvoir, pour leurs petites personnes et pour leurs idées et ils profitent de leur capacité de nuisance pour obtenir des concessions importantes. Les discussions, privées et publiques, qui interviennent entre les tours de scrutins depuis trois jours, ont débouché sur de nombreux aménagements de procédure aux bénéfices des élus et au détriment du « speaker », dont la position se trouve affaiblie.  

Speaker electoin 2023 rebels 2

 La réponse à la première question est plus complexe. Au-delà de la personne de Kevin Mc Carthy c’est toute une approche de la politique que ces frondeurs rejettent, une approche basée sur la recherche du « compromis » qui trop souvent se transforme en compromission…  En bons radicaux ces frondeurs campent sur leur intransigeance. D’autant soulignent-ils que les compromis se font trop souvent aux dépens des Républicains et à l’avantage des Démocrates.

 Pour le prouver ils mettent en avant deux sujets : la dette publique américaine et les dépenses non essentielles de l’Etat. Sujets liés.

U

 Il fut un temps où le parti Républicain était le parti de la responsabilité fiscale. Certains de ses membres réclamaient même un amendement constitutionnel pour interdire les déficits budgétaires ! C’était il y a trente ans. Ce n’est plus le cas. Les frondeurs demandent un retour à ces principes et des engagements écris de leurs collègues pour contrôler enfin un déficit budgétaire qui ne cesse de croître et qui année après année a porté la dette publique américaine à des niveaux stratosphériques. Celle-ci dépasse désormais trente mille milliards de dollars. Soit 130% du PIB américain !

 Le déficit budgétaire pour 2022 est de 1,4 milliers de milliards de dollars(« trillions » en anglais). Néanmoins, le dernier Congrès a voté en décembre, juste avant Noël, une loi autorisant mille sept cents milliards de dollars de dépenses supplémentaires. Sur ces mille sept cents milliards, près de neuf cents milliards  iront à la défense, et près de huit cents milliards iront  à des dépenses « discrétionnaires », c’est-à-dire non essentielles.

 La liste de ces dépenses ressemble à un catalogue de cadeaux faits aux uns et aux autres. Outre l’Ukraine qui recevra 50 milliards de dollars supplémentaires, on note 600 millions pour le « family planning », l’organisme qui gère les avortements ;  410 millions à la Tunisie, la Jordanie, l’Egypte et d’autres pour "protéger leurs frontières » ;  65 millions pour reconstituer les populations de saumons du pacifique ; 3 millions pour une autoroute  « non nuisible aux abeilles » ; 3 millions pour un sentier de randonnée portant le nom de Michele Obama. Et encore et encore…  

Joe Biden signs 1,7 trillion bill

 Il y en a ainsi pendant quatre mille pages, la longueur de ce texte de loi ! La plupart des élus ont reconnu l’avoir approuvé sans l’avoir lu ! Alors même que le gouvernement ne dispose pas de l’argent en question. Il devra être emprunté ! Mais comme il y en avait pour tout le monde dans ce texte de loi, les élus l’ont voté. Et plusieurs dizaines de Républicains parmi eux. Ce que les fameux frondeurs, dénoncent comme une trahison. Comment oser se présenter devant les électeurs comme un tenant de la responsabilité fiscale si c’est pour ensuite approuver de prélever des milliards de dollars dans la poche des contribuables américains pour les donner à des personnalités et des causes fétiches ?

 Voilà ce que les frondeurs dénoncent. McCarthy avait personnellement voté contre ce texte de loi. Ce qui n’est pas le cas de tous ceux qui le soutiennent. Les frondeurs le rejettent comme trop faible face aux exigences des Démocrates, et comme la personnification de cette politique des petits arrangements où chacun abuse des électeurs. Car l’argent si généreusement distribué reviendra bien sûr aux élus eux-mêmes. Sous la forme de contributions de campagne leur permettant d’être réélus et permettant au système de se perpétuer ad vitam eternam… Ainsi fonctionne Washington aujourd’hui et c’est bien ce que les frondeurs veulent changer.

 Quelle que soit l’issue du vote sur le speaker, le sujet de la responsabilité fiscale reviendra à l’ordre du jour en septembre 2023 lorsqu’il faudra voter la prochaine loi de finance car celle-ci nécessitera sans doute de relever le « plafond de la dette », c’est-à-dire une limite artificielle imposée par le Congrès aux dépenses du gouvernement, limite qu’il faut sans cesse relever, les dépenses du gouvernement ne cessant d’augmenter…

Matt Gaetz

 Le plus surprenant dans cette bataille  est que les frondeurs ne soient pas plus nombreux. Ils étaient cinq au départ : Andy Biggs de l’ Arizona, Matt Gaetz de la Floride, Bob Good de Virginie, Matt Rosendale du Montana, et Ralph Norman de Caroline du sud. Ils sont maintenant une vingtaine ayant reçu le soutien de membres du « freedom caucus », un groupe de parlementaires républicains attachés à la défense des libertés et à la baisse des dépenses de l’Etat.

 Beaucoup de ces parlementaires sont des quadras. Beaucoup ont été élus récemment sur les vagues successives du Tea Party en 2010 puis de Donald Trump en 2016 et 2018. Beaucoup  ont en commun une opposition viscérale à « l’establishment ». Ils sont « anti-système » et ont promis, comme Trump à une époque, « d’assécher le marais », c’est-à-dire d’en finir avec la corruption rampante (mais généralement légale) qui empoisonne Washington.

Trump 2024 announcement

 Leur champion s’appelle Donald Trump. Mais il n ‘est pas leur chef. Encore moins l’organisateur de la fronde. Par contre ils le  soutiendront s’il poursuit sa campagne pour la nomination républicaine en 2024, car à leurs yeux il est le seul capable de nettoyer Washington, comme le myhtique Hercule sut nettoyer les écuries d’Augias…

 Ils trouveront d’autres Républicains pour leur bloquer la route. Ce qui préfigure d’âpres batailles pendant la campagne des primaires et pourrait même, dans le pire des cas, mener à une division du parti Républicain.

 Dans le système politique américain, bâti sur le bi-partisme,  une telle scission serait un suicide politique et devra être à tout prix évitée. Le temps venu, chacun devra rentrer dans le rang, comme cela a été le cas le 7 janvier, avec l'élection du "speaker "McCarthy, après un inhabituel mais salutaire marathon parlementaire. 

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