En Librairie: Blaise Cendrars et Henry Miller – Correspondance 1934-1959
En novembre 1934 Henry Miller qui vient de publier Tropic of Cancer en envoie un exemplaire à Blaise Cendrars « en remerciement pour le très grand plaisir que m’a donné la lecture de vos livres, en particulier Moravagine ». Cendras en fait une critique enthousiaste. « Ce livre est profondément de chez nous et Henry Miller un des nôtres », écrit-il. Quelques semaines plus tard il frappe à la porte de la Villa Seurat, où demeure Miller, et les deux hommes font une virée mémorable dans Paris.
C’est le début d’une amitié qui ne cessera jamais, et d’une correspondance qui ne s’arrêtera qu’à la mort de Cendrars en 1961.
Dans des échanges réguliers, et parfois communs, -ils se souhaitent Joyeux Noël et Bonne Année- les deux hommes se racontent leur vie, comme deux vieux amis : leurs petits et leurs grands tracas, leurs problèmes d’argent, leurs difficultés avec les éditeurs « ils veulent tous la même chose, un succès ». Ils s’échangent des livres, s’envoient des disques. Miller fait de longs récits. Cendrars est dans l’économie.
Il s’excuse de faire court, signe « avec ma main amie », et parle de ses livres, ceux sur lesquels il travaille « 18 heures par jour ». Il râle. Déteste son époque. Juge « Paris d’une tristesse noire », se plaint des badauds qui « viennent voir la curieuse bête à écrire » qu’il est. Il évoque aussi la vieillesse qui le gagne et ses incessantes souffrances, ses yeux qui ne voient plus, ses jambes qui ne marchent plus. Il s’attarde rarement sur la littérature. Sauf Stefan Zweig, qu’il déteste, et accuse d’avoir plagié son roman « L’or ».
Miller s’enthousiasme pour la moindre ligne de Cendrars, raconte ses années de vagabondages, et son installation à Big Sur, sur la côte Pacifique, « un endroit vierge et sauvage où je me sens enfin chez moi sur mon sol natal ». Il raconte ses amours, sa vie de « cauchemar » quand Janina, la mère de ses enfants, et lui se séparent, son bonheur retrouvé –« tout recommence… J’espère que la vie est éternelle »- quand il rencontre Eve… Se moque de ses compatriotes : « San Francisco est un endroit magnifique habité par des idiots », « J’ai des doutes sur les femmes nées et élevées dans ce pays »… Et il n’oublie pas les bonnes bouteilles de vin français, Meursault, Vouvray, qu’il a bues et dont il envoie les étiquettes à Cendrars, comme pour en partager le plaisir.
Au fur et à mesure des pages où ils se racontent, les deux hommes apparaissent moins extravagants que leur réputation mais plus humains et éternellement complices.
Blaise Cendrars et Henry Miller – Correspondance 1934-1959 « Je travaille à pic pour descendre en profondeur », éditions Zoé, 348 pages, 27,50 euros (réédition d’un volume initialement paru chez Denoel en 1995 et épuisé depuis dix ans)