Paris-Exposition : Edward Hopper au Grand Palais
Le Grand Palais consacre une grande rétrospective à Edward Hopper. Magnifique exposition qui permet de se plonger dans l’univers singulier, à la fois lumineux, inquiétant et irréel de ce peintre américain du XXe siècle.
Edward Hopper est né en 1882 dans l’Etat de New York. Il est mort en 1967 dans son appartement de Greenwich Village. Il a connu la notoriété dans la deuxième moitié de sa vie, pour ses représentations urbaines, où des personnages, souvent seuls, se confrontent à des espaces vides, des pièces aux murs nus et aux fenêtres ouvertes sur un ailleurs aussi proche qu’inaccessible.
Hopper a beaucoup peint. Des illustrations pour les couvertures de magazines, d’abord. Parce qu’il fallait bien gagner sa vie. Des aquarelles aussi, et des gravures. Il est venu à Paris dans les années 1900-1910, mais ne semble pas avoir été marqué par la jeune peinture d’alors. Il aimait Rembrandt, Courbet, Manet, Degas. Picasso, il n’en avait pas entendu parler…Mais ce sont ses huiles qui vont le faire connaître à partir de 1925 de House by the railroad (1925) à Two Comedians (1966)
Sa toile la plus célèbre, mille fois reproduite, copiée ou parodiée est Nighthawks, (« oiseaux de nuit »), peinte en 1942, qui représente l’intérieur d’un café, la nuit, vu de la rue. Un couple est accoudé au comptoir, lui en chapeau, elle dans une robe décolletée rose. Le barman, tout en blanc, les regarde. Au coin du comptoir un homme seul est assis sur un tabouret. Il tourne le dos au spectateur. La scène baigne dans une lumière crue, qui contraste avec l’obscurité de la rue. Le spectateur pourrait être un passant dans cette rue, sur le trottoir d’en face, irrésistiblement attiré par cette lumière tel un papillon de nuit.
Tous les éléments qui composent le monde d’Edward Hopper sont présents dans ce tableau. La ville d’abord, qui sert de cadre, mais qui est vide ; l’architecture des rues américaines, ensuite, avec leurs façades de brique et leurs lignes à angles droits. Un personnage seul de dos. Un couple de face. Tous sont contemplatifs. Seul le barman semble s’affairer à quelque chose mais on ne distingue pas quoi. Et bien sûr la lumière, ici une lumière artificielle de néon.
La toile exerce une formidable fascination sur le spectateur et pourtant sa signification est incertaine. Ces personnages sont-ils des insomniaques ou des noctambules ? Peut-être des gangsters ? Le couple est-il en train de se « faire » ou se « défaire » ? L’obscurité de la rue est inquiétante, mais la lumière trop forte du café, presque aveuglante…
Ainsi les toiles de Edward Hopper racontent des histoires que le spectateur est libre de compléter. Elles sont comme les clichés instantanés d’un film dont on ignore le début et la fin. Ce sont des scènes de la vie quotidienne sorties de leur contexte. Erigées en archétypes.
André Breton comparait Hopper à Chirico. Et l’on comprend pourquoi. Tous deux peignent une fausse réalité. Plus proche du rêve. Les éléments sont sortis du réel, mais l’impression d’ensemble nous transporte dans un autre espace où le temps semble suspendu, l’action arrêtée, les personnages figés.
Chez Hopper les villes sont désertes. Les intérieurs aussi. Les personnages lisent, ou semblent réfléchir. Enfermés dans des pièces qui les emprisonnent, leur évasion est cérébrale, symbolisée par un livre ouvert. Souvent la scène ne compte qu’un personnage: une femme assise à une table de restaurant dans Automat, ou une jolie blonde en robe mousseline bleue dans Summertime, une femme à demi-nue sur un lit pensive dans Hotel Room.
Quand ils sont deux, les personnages ne se parlent pas, même s’ils devraient. Dans Office at night, un homme et une femme sont dans un bureau, le titre suggère qu’ils travaillent tard dans la nuit. L’homme est assis plongé dans un papier, la femme, debout, le regarde, mais il n’y a aucun échange entre eux.
Dans Room in New York, l’homme, assis, lit son journal, la femme lui tourne le dos, une main sur le clavier d’un piano. Dans Hotel by a railroad, c’est l’inverse. L’homme regarde par la fenêtre et tourne le dos à la femme assise sur une chaise contre le mur, lisant un livre. Dans Excursion into philosophy cet effet est poussé à l’extrême. L’homme et la femme sont sur un même lit, et leurs corps se touchent mais la femme est allongée de dos, l’homme assis fait face au spectateur un livre à côté de lui...
En fait les personnages d’Edward Hopper semblent parfois n’être là que pour donner l’échelle. Permettre au spectateur de mesurer leur isolement. Réaliser à quel point ils sont écrasés par l’espace, séparés par la lumière et emmurés dans leur vie. Dans Room in New York la lumière éclaire la table, au centre de la toile, c’est à dire l’espace entre les deux personnages. Dans Office at Night, elle est plaquée sur le mur. Pour Summer Evening où deux personnages sont sous la lumière d’un porche, Hopper avoue avoir d’abord conçu la toile vide parce ce qui l’intéressait était la lumière. Il y a de l’aliénation et de l’angoisse dans Hopper mais jamais de violence. C’est un monde où les solitudes et les gens se juxtaposent sans jamais se mélanger ; où les personnages semblent prisonniers des murs malgré les fenêtres ouvertes.
Edward Hopper, Grand Palais (entrée Champs Elysées) du 10 octobre 2012 au 28 janvier 2013.