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France-Amérique le blog de Gérald Olivier
21 février 2023

Nord Stream: les Américains ont-ils vraiment fait sauter le gazoduc Nord Stream ? (2e partie)

  Nord Stream Deuxième partie : Le contentieux américain contre Nord Stream

ou "Pourquoi les Américains avaient toutes les raisons de saboter ce gazoduc  mais ne l’ont pas fait…"

 Nord Stream investigation

 Seymour Hersh est un journaliste américain de 85 ans, né à Chicago en 1937 de parents juifs immigrés d’Europe de l’Est. Son nom de famille « Hersh » est une abréviation de « Hershowitz ».  Son heure de gloire remonte à 1969 et la guerre du Vietnam, lorsqu’il dénonça le massacre de plusieurs centaine de civils vietnamiens du village de My Lai, suspectés d’être des combattants ou des sympathisants Vietcong. Son récit de ce qui est aujourd’hui considéré comme la plus choquante bavure américaine de toute la guerre du Vietnam lui valut le prix Pullitzer en 1970.

 Depuis Seymour Hersh s’est fait une spécialité de dénoncer les complots et mensonges de l’administration américaine. Il a accusé le président John Kennedy de mener une vie de privilège et de débauche y compris à la Maison Blanche. Il a accusé l’administration Bush d’avoir planifié une guerre contre l’Iran. Il a accusé l’administration Obama d’avoir menti sur les circonstances de la mort d’ Oussama Ben Laden ; et accusé l’administration Trump d’avoir frappé la Syrie en 2017 sans preuve d’une attaque chimique par la régime de Bashar el Assad.

Seymour hersh Nord Stream 3

 Loin de lui valoir de nouvelles récompenses, ses derniers articles lui ont surtout valu les critiques de confrères qui lui reprochent de faire du « mauvais journalisme ». Par simple souci de "créer le buzz", Hersh reproduit les affirmations de sources anonymes et peu fiables, sans se soucier d’en vérifier la véracité ou même la plausibilité et en ignorant délibérément des sources ou éléments contradictoires.

 C’est encore ce qu’on lui reproche pour son dernier article imputant le sabotage des gazoducs Nord Stream, en septembre 2022, aux Américains. Pour son récit, Hersh s’est reposé sur une source et une seule, identifiée à deux reprises comme « une source avec une connaissance directe du planning de l’opération »  et « une source avec une connaissance directe du process. »

Seymour Hersh Nord Stream version

 Il n’a indiqué à personne l’identité de cette source. Pas même aux Russes qui se sont empressés de s’en enquérir…Ce qu’il n’est certes pas tenu de faire mais qui pourrait donner du crédit à son récit.

Cette "source" existe sans doute, mais loin d'être un lanceur d'alerte il s'agit vraisemblablement d'un membre du premier cercle du pouvoir qui manipule le vieux journaliste à fin de redorer son blazon à peu de frais...

 La clé du récit réside en une petite phrase prononcée par cette « source » tout à la fin du texte:  « The guy has a pair of balls » « ce type à une paire de cou…”. “Ce type”, c’est Joe Biden, le président des Etats-Unis. « Il avait dit qu’il le ferait (sauter le gazoduc) et il l’a fait ». En clair le lecteur est invité à déduire de l’article que Joe Biden est le vrai héros de l’histoire ! Un commandant en chef audacieux et courageux, un président avec du caractère, de la poigne,  et donc une « paire de c… » . Soit exactement l’inverse de l’image de fragilité et de confusion projetée par Biden depuis qu’il est entré à la Maison Blanche.

Joe-Biden-001

 En clair, le récit de Hersh, qui n’engage à rien parce qu’il est totalement dénué de preuves, est une gentille comptine d’espionnage à la gloire du président américain. Un moyen détourné de se mettre en valeur, sans prendre de risque.

 Petit retour en arrière pour retrouver le fil de l’histoire.  

 Les gazoducs Nord Stream 1 et Nord Stream 2 forment un complexe de quatre tuyaux sous-marin capables de transporter du gaz naturel de la Russie vers l’Allemagne par le fond de la mer Baltique. Ils s’étendent sur 1 200 kilomètres environ, à une profondeur de 70  à 100 mètres, entre les terminaux de Vyborg, en Russie, près de la frontière finlandaise et de Lubmin à la pointe nord-est de l’Allemagne.

Nord Stream 2

 Le projet, initié par le géant russe Gazprom, remonte à la fin des années 1990. La gestion des pipelines est assurée par Nord Stream AG, un consortium international qui regroupe des compagnies néerlandaise, française (Engie),  allemande, et russe où Gazprom est actionnaire majoritaire (51%). Construit avec l’aide d’entreprises finlandaises, suédoises et italiennes, Nord Stream 1 (les deux premiers tuyaux) est entré en fonction en septembre 2011. Sa capacité est de 55 milliards de mètre cubes de gaz par an. Nord Stream 2 a été achevé en septembre 2021 mais n’est jamais entré en fonction.  Equivalent à Nord Stream il aurait multiplié par deux le volume de gaz transporté de Russie vers l’Europe, via l’Allemagne pour le porter à 110 milliards de mètre cubes par an.  

Nord Stream 1 signing ceremony 2011

 Grace à Nord Stream, la  Russie est devenue en dix ans (de 2011 à 2021) le premier fournisseur d’énergie de toute l’Europe. 30% du gaz et du pétrole consommés en Europe entre 2011 et 2022 étaient d’origine russe. Certains pays, tels l’Italie et l’Allemagne dépendaient de la Russie pour près de 50% leur approvisionnement en gaz. D’autres, comme la France, Les Pays Bas ou l’Irlande, limitaient cet apport à 25% ou moins.

Europe and russian gaz

 Tout cela a cessé brutalement à partir du 24 février 2022 date du début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. L’Europe a imposé des sanctions à la Russie limitant ses ventes de gaz.  La Russie lui a emboité le pas, privant l’Europe de son approvisionnement. De telle sorte que Nord Stream 2  n’est jamais entré en fonction et que le flot de gaz via Nord Stream 1 s’est réduit de 80%.

Du coup au moment de l’attentat, le 26 septembre 2022, les tuyaux ne contenaient que relativement peu de méthane et les retombées environnementales du désastre ont été plutôt limitées…  Néanmoins il y a eu sabotage et il y a bien un coupable quelque part…  

Nord Stream bubble burst

 Les Etats-Unis figurent en tête de liste pour être ce coupable. Plus que tout autre pays ils ont les moyens financiers, militaires, et techniques de concevoir et mener une telle opération. La Russie est leur adversaire géostratégique historique et ils s’étaient toujours opposés au projet.

 Nord Stream allait à l’encontre de leurs intérêts. Il constituait un rapprochement, voire une forme d’intégration économique, entre l’Europe et la Russie susceptible d’exclure les Etats-Unis du jeu. Ils y voyaient aussi une potentielle arme de guerre dans les mains de Vladimir Poutine capable d’instrumentaliser l’énergie à des fins stratégiques et de prendre le continent européen en otage pour imposer ses visées revanchardes. Sans même aller jusque-là, la réalité d’une dépendance accrue de l ‘Allemagne envers la Russie allait rendre Berlin plus sensible à la vision du monde de Moscou et moins à celles de Washington…

Nord Stream Putin courts Germany

 En visite à Bruxelles, peu après l’annexion de la Crimée, en 2014, le président Barack Obama, dit aux Européens : « Vous ne pouvez pas dépendre entièrement de l’énergie des autres… » et de suggérer à la fois des sources intérieures (dont le nucléaire et le renouvelable) et une augmentation de leurs importations de gaz américain via un accord de libre-échange.

 Le président Donald Trump était encore plus remonté contre le projet. Il détestait voir les Etats-Unis payer pour la défense de l’Europe, contre une supposée menace Russe, alors que l’Europe s’approvisionnait en énergie auprès de la même Russie. Pour lui il y avait là quelque chose de fondamentalement illogique. Soit la Russie était bien une menace et il fallait la combattre. Soit elle était un partenaire et il fallait en tenir compte… en renonçant par exemple à l’Otan…

Nord Stream Trump UN 2018 speech

 En septembre 2018, à la tribune de l’Onu, il mit en garde l’Allemagne contre un excès de naïveté. « L’Allemagne… est en voie de devenir totalement dépendante de la Russie pour son approvisionnement en gaz… cela la rend vulnérable à toutes sorte de chantages et extorsions… » A l’époque sa phrase avait suscité des sourires satisfaits chez les diplomates allemands présents dans la salle… Ils pensaient avoir touché le graal : une énergie abondante et bon marché pour nourrir leurs industries d’exportations et inonder le marché américain de produits rendus concurrentiels par un euro plutôt faible…

 Officiellement Biden était sur la même ligne que ses deux prédécesseurs. Nord Stream était une menace contre l’influence américaine en Europe et une menace contre la cohésion de l’Otan. Le Congrès venait d’ailleurs de voter des sanctions contre Nord Stream AG, pour empêcher la mise en route de Nord Stream 2. La question de la détermination de Joe Biden avait été posée à son future secrétaire d’Etat Anthony Blinken, durant ses audiences de confirmation. « Je n’ai aucun doute que nous utiliserons tous les outils à notre disposition pour convaincre nos partenaires et alliés, y compris les Allemands, de ne pas aller plus avant dans ce projet. »

Anthony Blinken Sec of State

 Malgré cela, dès le mois de mai, Biden levait unilatéralement les sanctions à l’encontre de Nord Stream 2. Sans aucune contrepartie. Ni de la Russie. Ni de l’Allemagne. Cette décision fit un tollé aux Etats-Unis. Les « faucons » dans le camp Démocrate comme dans le camp Républicains dénoncèrent un cadeau fait aux adversaires et concurrents des Etats-Unis. Une décision allant à l’inverse des intérêts américains, qui mettait « l’Amérique en dernier »,  à l’opposé de la politique de Donald Trump partisan de « l’Amérique d’abord » (America First) !.

 Pas du tout, affirmèrent sans vergogne, les conseillers de Biden, il s’agissait de donner un gage à l’Allemagne malmenée sous Donald Trump, et à son nouveau chancelier Olaf Scholz. Berlin avait besoin du gaz russe, l’administration Biden allait leur faciliter cet accès.

Olaf Sholz

 Cette décision avait un impact immédiat. Non pas en Allemagne, mais en Russie. Depuis plusieurs semaines la Russie avait commencé d’amasser chars, blindés et troupes par dizaines de milliers à la frontière est de l’Ukraine et en Crimée. Mais suite à la levée des sanctions américaines,  elle retirait certaines de ses troupes en juin.

 Mais ce n’était que pour mieux les redéployer, en nombre encore plus important, à partir du mois d’octobre. Cette manœuvre leva les derniers doutes des services de renseignements américains sur l’imminence d’une invasion de l’Ukraine par la Russie. Dès décembre 2021, Washington rendit public ses craintes d’une attaque russe, partageant ses renseignements avec ses alliés pour tenter de dissuader la Russie de passer à l’acte.

Jake Sullivan

 Selon Seymour Hersh, c’est à partir de ce même mois de décembre 2021 que Jake Sullivan mit en place une « task force » spéciale,  avec pour mission d’élaborer des plans de représailles en cas d’invasion russe.  L’un de ces plans fut l’élimination du gazoduc Nord Stream.

 Le plan fut soumis à l’approbation de la Maison Blanche et reçut un feu vert fin février, juste après le début de l’offensive russe. Selon Hersh les membres de la « task force » n’eurent pas de contact direct avec Biden. C’est William Burn, le directeur de la CIA, qui délivra la bonne nouvelle.

William burn CIA director under Biden

 Le 7 février 2022,  quinze jours plus tôt , au plus haut des tensions, Joe Biden déclarait, lors d’une conférence de presse avec Olaf Scholz, en visite à Washington :  « Si la Russie envahit l’Ukraine, il n’y aura plus de Nord Stream 2 . Nous y mettrons fin. » « Comment vous y prendrez-vous ? » demanda une journaliste téméraire.  « Nous y mettrons fin, nous avons des moyens de le faire. »

 Quelques semaines plus tôt, Victoria Nuland, sous-secrétaire d’état, avait proféré la même menace dans des termes très similaires : « Si la Russie envahit l’Ukraine d’une façon ou d’une autre Nord Stream sera arrêté,»

Joe Biden warns against Nord Stream we ll put an end to it

 Le président Biden croyait -il au pouvoir dissuasif de tels propos ? Ou bien a-t-il commis une de ses nombreuses bourdes en trahissant un plan qui aurait dû rester secret ? Hersh propose une troisième explication : en évoquant en public ce qui aurait dû être une opération secrète, Biden s’affranchissait à l’avance de devoir rendre des comptes au Congrès…

 En fait il est beaucoup plus probable qu’il ait espéré que la Russie ne risquerait pas une infrastructure aussi coûteuse et importante pour les revenus de l’Etat et renoncerait à son entreprise guerrière en Ukraine. Auquel cas il se serait à nouveau totalement trompé, comme tant de fois par le passé…

nord stream-4

 Les Etats-Unis sont familiers des coups tordus. Surtout depuis la création de la CIA, en 1947. Mais ils n’ont pas l’habitude de s’en vanter. Ni après. Et surtout pas avant. Les propos du président Biden sont contre-nature et étaient d’une maladresse impardonnable. Ils offraient à quiconque la possibilité de saboter le gazoduc et de blâmer les Américains. Et ils mettaient les Etats-Unis en position de faiblesse, sauf à effectivement saboter Nord Stream. Car la première règle dans un rapport de force est de ne jamais proférer une menace que l’on ne soit pas prêt à mettre à exécution…

CIA Langley emblem

 Rien ne prouve donc pour l’instant que les Etats-Unis soient effectivement les auteurs du sabotage de Nord Stream. D’ailleurs, la Russie s’est gardée de parler de représailles, encore moins d’en mener. La Douma russe a donné à Seymour Hersh le statut de héros et a demandé une enquête du Conseil de sécurité de l’Onu. Manœuvres de pure forme.  

 Seule une enquête internationale permettra de déterminer sinon l’auteur, du moins l’origine du sabotage. Mais le doute convient sans doute mieux pour l’instant aux principaux acteurs du conflit. 

 

 

 

 

 

 

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