Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
France-Amérique le blog de Gérald Olivier
21 avril 2021

Etats-Unis : Biden, l’Afghanistan et la fin du « Nation Building »

Iraq nation building

Double embarras des médias ces derniers jours à Washington.

D’abord, le président Joe Biden annonce qu’il va retirer les troupes américaines d’Afghanistan à partir du 11 septembre. A Washington, New York et dans les rédactions des grands médias, la nouvelle a jeté le trouble. Car c’était une des promesses non réalisées de Donald Trump. On ne peut pas féliciter le président démocrate pour appliquer aujourd’hui  la politique revendiquée hier par son adversaire Républicain…

 Donald Trump patriotic

De fait, Trump avait fait campagne, dès 2016, pour mettre un terme à ce qu’il appelait les « guerres sans fin », dont celles d’Irak et d’Afghanistan. Une fois à la Maison Blanche toutefois, sa volonté s’était heurtée à l’opposition des gradés du Pentagone. Trump s’était vu vilipendé par les médias et les Démocrates pour « ne pas écouter ses généraux », gouverner en « autocrate autoritaire et capricieux » et « mettre la nation américaine en danger »… Il avait dû battre en retraite et repousser ce retrait à plus tard !

Or, qu’apprend-on juste après l’annonce du retrait américain par Biden?  Eh bien que Biden a pris sa décision seul, à l’encontre de la recommandation de ses propres généraux et des « faucons » du Congrès ! Les journaleux se mordent les lèvres. Après ce qu’ils ont écrit sur son prédécesseur, ils ne peuvent encenser Biden pour faire la même chose!...

 Joe Biden signs executive orders

Toutefois la décision de ce retrait total, vingt ans après le début de la guerre, sans que Washington puisse crier victoire, (loin de là en fait) est une décision majeure, dont les implications vont bien au-delà de l’embarras des médias américains. Cette décision met un terme à une notion chère, mais désormais discréditée,  celle du « nation building », c’est-à-dire de la reconstruction nationale par le vainqueur.

La guerre contre l’Afghanistan fut effectivement gagnée en dix semaines. Déclarée le 18 septembre 2001, elle fut achevée le 21 décembre avec l’installation d’un nouveau gouvernement à Kaboul. Ce qui a échoué, c’est ce qui a suivi. C’est-à-dire la tentative de donner à l’Afghanistan un gouvernement stable et fiable, ainsi que des structures économiques susceptibles de maintenir la paix et de guider durablement le pays sur la voie de la croissance…Ce qui a échoué c’est le « nation building », ce concept un temps encensé par les « néoconservateurs », proches du parti Républicain, et les « interventionnistes humanitaires » nombreux au sein du  parti Démocrate.

president Trump's foreign policy

La guerre d’Afghanistan est la plus longue de l’histoire américaine. Elle a débuté quelques jours après les attentats contre le World Trade Center de New York et le Pentagone à Washington, suite au refus par le gouvernement des Talibans à Kaboul de livrer Oussama Ben Laden, l’auteur de ces attaques, alors réfugié dans les hauteurs de Kandahar, la seconde ville du pays. Les Américains, appuyés par une vaste coalition internationale décidèrent donc d’envahir le pays pour en renverser le gouvernement, et déloger Ben Laden. Toutefois celui-ci réussit à fuir et ne fut retrouvé et tué par les Américains que dix ans plus tard, le 1er mai 2011.

Le gouvernement des Talibans fut renversé en deux mois à peine. Les combats achevés, les G.I.s auraient pu rentrer chez eux. Sauf pour la volonté américaine de reconstruire le pays afin d’éviter qu’il ne redevienne un berceau du terrorisme et une source d’instabilité régionale. En clair, il fallait rester quelques mois de plus, dirent les stratèges d’alors, pour ne pas avoir à revenir quelques années plus tard…

 osama Ben Laden in Afghanistan

Cette volonté américaine, appelée « nation building »,  trouve sa source dans la politique mise en place vis-à-vis de l’Allemagne Nazi et du Japon impérial après la fin de la seconde guerre mondiale. A l’époque cela avait fonctionné. Et depuis,  le succès de cette approche a été utilisé pour justifier toutes sortes de politiques de changements forcés vis-à-vis d’autres ennemis vaincus de l’Amérique, notamment en Somalie, ou en Bosnie, et surtout en Irak et en Afghanistan. Le problème est que dans tous ces cas récents, cette politique a échoué. Parfois lamentablement.

 Reconstruction in the South

Certains historiens font remonter le « nation building » bien au-delà de la seconde guerre mondiale… Jusqu’à la guerre de sécession  (1861 – 1865) et la volonté des « yankees » du nord de reconstruire le sud à leur image, après la défaite de la Confédération (les onze Etats du Sud qui avaient préféré quitter l’Union plutôt que d’abandonner l’esclavage).  Cette entreprise fut courte, moins de dix ans, et fut très mal vécue par le Sud, mais elle a indéniablement réussi sur la longue durée, car le vieux Sud, rural, aristocratique et hiérarchisé, a largement disparu au profit du modèle mercantile, industrieux et égalitariste, du nord…  

Harry Truman president marshall plan 

Bien des années plus tard, au lendemain de la chute du IIIe Reich, en mai 1945, l’Allemagne se retrouva vaincue, ruinée, détruite et occupée. Le président Truman, qui venait de succéder à Franklin Roosevelt, jugea essentiel d’aider à la reconstruction de l’Allemagne, via le Plan Marshall, mis en place à partir de 1947, mais aussi de veiller à sa « dénazification » et à sa démocratisation. Un tribunal militaire international fut institué à Nuremberg pour juger les responsables du régime Nazi de leurs crimes et les punir devant le monde entier. Les institutions du pays furent également modifiées pour rétablir un régime parlementaire, éliminer l’armée et limiter les forces de défense.

Nuremberg Trial

 Une tâche identique fut menée au Japon.  De 1945 à 1952, sous la conduite du général Douglas Mac Arthur, en sa qualité de commandant en chef des forces alliées, les Etats-Unis procédèrent à des réformes économiques, politiques, institutionnelles et sociales qui posèrent les fondations du Japon moderne. Cela commença par le procès des anciens dirigeants du Japon impérial et la rédaction d’une nouvelle constitution instituant un régime parlementaire, affirmant la  non-militarisation du régime et faisant de l’Empereur une simple figure protocolaire. Au plan économique Mac Arthur brisa le monopole des grands groupes industriels pour favoriser l’émergence d’une économie de marché.

general Mc Arthur 

Dans un cas comme dans l’autre ces politiques furent couronnées de succès. L’Allemagne redevint en quinze ans une puissance économique majeure en Europe, et le Japon connut une croissance fulgurante au cours des quatre décennies suivantes.

Ces succès persuadèrent les Américains du bien-fondé du « nation building » ! Désormais la guerre ne servirait plus à vaincre un adversaire, elle servirait à préparer sa reconstruction et sa conversion au libéralisme démocratique.

La fait que ces deux sociétés aient été homogènes, disciplinées et instruites, ainsi que les héritières d’une histoire millénaire, joua un rôle non négligeable dans le succès du « nation building » américain, mais ce point- là échappa sans doute aux pontes de Washington. Emplis d’hubris, certains au Département d’Etat se sentirent l’âme de petits dieux, capables de remodeler les nations de la terre à leur image. Il devint axiomatique que tous les peuples aspiraient effectivement à la liberté, à la démocratie  et à l’économie de marché. Il suffisait de les leur apporter pour qu’ils rejoignent le camp des nations civilisées. La solution aux conflits, petits et grands, c’était le « nation building ». Le monde pourrait enfin être délivré de la guerre… il suffisait de le refaire à l’image de l’Amérique et de le convertir à l’idéologie des droits de l’homme… C'était une illusion! Elle était de taille

Somalia Black hawk down

Car la suite des évènements n’allait pas confirmer ces succès initiaux. La Somalie fut un premier échec inattendu.  Au nom des Nations Unies, l’Amérique envahit le pays en janvier 1993 pour mettre un terme à la guerre civile qui le dévastait depuis deux ans. Il s’agissait d’une opération dite « humanitaire ». Mais le jeu des tribus l’emporta sur la discipline américaine. Incapable d’appréhender le principal chef rebelle, et face à des pertes humaines jugées inacceptables par les Américains, le président Clinton ordonna un retrait total des troupes, neuf mois seulement après le début de l’opération.

Le "nation building" venait de rencontrer deux limites majeures. La première était celle de la tolérance de l’opinion publique américaine à la mort de ses soldats dans des guerres lointaines  sans lien avec la sécurité nationale américaine. La seconde était le jeu des rivalités tribales et la tolérance de l'adversaire au chaos.

 Bill Clinton & Madeleine Allbright in Kosovo

Cela n’empêcha pas l’Amérique de Bill Clinton de s’enticher de redessiner la carte de l’Europe à l’aune de la guerre civile en Yougoslavie. Cet ancien  pays communiste  des Balkans, fragile assemblage d’ethnies se détestant les unes, les autres, avait explosé immédiatement après la chute du mur de Berlin. Les Etats-Unis se posèrent en médiateur obtenant la signature d’accords de paix à Dayton , dans l’Ohio, en 1995. Une paix précaire assurée par d’importants déploiements de soldats de l’Otan. Une fois sur place les Américains appuyèrent les revendications séparatistes des Kosovars de Serbie pour obtenir la création de l’état du Kosovo, enclave musulmane, au cœur d’une terre orthodoxe, défendue par une toute nouvelle base militaire américaine, Camp Bondsteel, la plus importante de tout le continent européen.

 Camp_bondsteel_kosovo

Le prétexte du « nation building » venait de permettre au président Démocrate Bill Clinton et à sa secrétaire d’Etat Madeleine Allbright,  la plus grande avancée impérialiste américaine depuis la guerre contre l’Espagne de 1898,  qui avait débouché sur la conquête de Cuba et des Philippines. Tout cela au nom de considérations « humanitaires ».

De fait le crédo néoconservateur, ne diffère que très peu de l’interventionnisme humanitaire des libéraux de gauche. Là où un néoconservateur verra le besoin d’imposer la démocratie comme idéologie libératrice, un interventionniste verra le besoin de protéger les « droits humains » des populations locales, même contre leur assentiment.  

September_17_20011

Les attentats du 11 septembre 2001 allaient ramener cruellement l’attention des Etats-Unis vers le Moyen Orient. Le terrorisme islamique, commodément ignoré depuis la fin de la première guerre du Golfe, revenait au premier plan. Ce terrorisme était le fruit de l’esprit revanchard d’un sujet saoudien, de religion sunni, outré par la présence d’infidèles sur le sol sacré d’Arabie, Oussama Ben Laden. Mais pour les experts du département d’Etat, il émanait surtout de l’esprit rétrograde de populations locales maintenues dans l’ignorance par le joug d’autocrates parvenus au pouvoir par les armes, et s’y maintenant par la terreur.

Il fallait que tout cela change… pour le bien de ces populations, elles-mêmes. L’Afghanistan serait le premier bénéficiaire de cette nouvelle expérimentation dans le « nation building » et servirait donc de modèle.

Afghanistan nation building 1

Les Américains auraient pu se pencher sur l’histoire récente de l’Afghanistan et se raviser. Entre 1839 et 1919, l’Empire britannique s’était cassé les dents à trois reprises contre les montagnes de l’Hindu Kush. l’Union soviétique  s’était retirée après sept ans de guerre et quinze mille morts (1979-1987).  Les tribus locales, retranchées dans des montagnes infranchissables et sans voies de communication, étaient à l’évidence réfractaires au changement et affutées au combat. Cela ne doucha pas l’enthousiasme américain. 

La victoire militaire facile de 2001 fut suivie par une volonté de ne pas laisser derrière soi un champ de ruine, mais de reconstruire le pays. Cela signifiait bâtir des routes praticables – il y avait moins de 50 km de routes goudronnées en Afghanistan en 2001 – ouvrir des écoles qui enseigneraient autre chose que le Coran et où les filles seraient acceptées, fournir des hôpitaux clés en main, de diversifier l’agriculture pour offrir une alternative à la culture du pavot et de ses produits dérivés, l’opium et l’héroïne.

afghanistan poppy field 

L’un des plus fervents partisans de cette approche était un certain sénateur Joe Biden. Siégeant à la commission des affaires étrangères du Sénat, il effectua plusieurs déplacements à Kabul entre 2001 et 2008.

Toutefois son attention, celle de l’administration et des Américains se reporta très vite sur une autre cible, l’Irak. Le régime de  Saddam Hussein constituait une menace « contre la sécurité nationale  des Etats-Unis. Or l’Irak occupe une position stratégique, au cœur du Moyen Orient. Faire éclore la démocratie et l’économie de marché dans cette région perpétuellement instable était une gageure aux bénéfices incalculables. On vit bientôt au Département d’Etat circuler des cartes d’un futur « Grand Moyen Orient » sous influence américaine. L’essor de la Démocratie ferait basculer, les uns après les autres, les régimes autoritaires de la Syrie au Maroc. La croissance économique apporterait le bien-être aux populations, éviterait les troubles sociaux et offrirait une alternative concrète à l’obscurantisme islamique. Bref ce serait le meilleur des mondes possibles. Il suffisait pour cela que la démocratie s’enracine en Irak, le reste suivrait. C’était du moins la théorie des néoconservateurs.

Iraq war of 2003 and nation building

En vérité, la Démocratie ne se limite pas à des élections plus ou moins libres. Elle suppose des partis politiques, la liberté d’expression, et de la presse, l’égalité devant le vote, etc. Elle suppose surtout une conscience nationale, et un sens de l’intérêt commun, qui dépasse celui de la tribu, de l’ethnie, ou du groupe religieux. Tous ces éléments faisaient notoirement défaut en Irak. Tout comme en Afghanistan, d’ailleurs, en Somalie, ou même en Bosnie.

De plus, ces plans sur la comète supposaient un contexte pacifié. Une opposition  totalement vaincue. Ce n’était le cas ni en Iraq, ni en Afghanistan. Les Talibans, retranchés au Pakistan, continuaient de harceler les soldats Américains et leurs alliés afghans. Les pertes humaines s’accumulaient. Les progrès tardaient à venir. Dix ans après la victoire de 2001, il y avait toujours cent dix mille soldats américains déployés en Afghanistan. Plus qu’à aucun autre moment de la guerre.

 President Obama, Joe Biden, DAvidPetraeus and Robert Gates

Idem en Irak. Quatre ans après la célébration de la victoire, le général Petraeus, commandant en chef des forces américaines sur place, demandait un « sursaut » ( « surge » ) pour venir à bout des insurgés. Bref la guerre n’était ni finie, ni gagnée… La reconstruction était au point mort.  

En Afghanistan, tout comme en Irak, les idéaux américains se sont heurtés aux réalités locales. En quelques années seulement le grand projet de « nation building » apparut pour ce qu’il était, une illusion concoctée par quelques intellectuels et stratèges de salon instruits par les livres et ignorants du monde.

 Hamid karzai

Biden, dit-on, perdit ses illusions sur l’Afghanistan dès 2008 à l’occasion d’un diner avec le président afghan Hamid Karzaï. En dépit de preuves accablantes, celui-ci nia toute corruption au sein de son gouvernement. Biden en conclut qu’on ne pouvait pas lui faire confiance, et que l’argent des contribuables américains était dilapidé.

Le président Obama fit confiance à ses généraux quelques années de plus, mais dès 2013 et le début de ce second mandat il rechercha une porte de sortie honorable.  Donald Trump ne se donna pas ce mal. Il afficha sa volonté de rapatrier tout de suite les soldats d’Afghanistan et d’Iraq. Ses généraux parvinrent à le convaincre de ne pas le faire, au nom de « la stabilité régionale », de « la lutte contre le terrorisme ». Sa priorité, dès lors, fut un traité de paix avec les Taliban d’un côté et l’anéantissement de l’Etat islamique de l’autres. C’étaient les conditions posées par le Pentagone pour le retour. Les troupes restèrent déployées mais Trump précisa bien : « Nous ne faisons pas de « nation building », nous tuons des terroristes .»

 Afghanistan taliban fighters

Les terroristes ont été tués. L’Etat islamique a été anéanti. Les généraux ont alors changé de discours et indiqué que d’autres viendraient prendre leur place, si les Américains partaient. Pour Trump cela ne changea rien et il avait arrêté la date du 1er mai 2021 comme celle du début du retrait.

Joe Biden n’a pas souhaité tenir ce délai et a préféré repousser cette date au 11 septembre. Pour mettre sa signature sur une politique qui n’est pas seulement la sienne. Mais l’important est ailleurs. Par ce retrait,  l’interventionniste Joe Biden, celui qui estimait qu’il était de la « responsabilité » des Etats-Unis, d’imposer leur ordre au reste du monde, reconnaît que les Américains ne peuvent pas tout partout ; qu’il n’est pas de leur ressort de gérer la vie des autres, encore moins de transformer le monde en une succursale de l’Amérique.

 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
France-Amérique le blog de Gérald Olivier
  • L'oeil d'un Franco-Américain sur l'actualité internationale, la politique, l'économie, la société américaines, et tout ce qui touche aux États-Unis. Je défends les libertés individuelles et dénonce la pensé unique et les folies progressistes.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
France-Amérique le blog de Gérald Olivier
Visiteurs
Depuis la création 369 187
Newsletter
Archives
Derniers commentaires
Publicité