Carlos, Clinton et Ben Laden

Depuis le lundi 7 novembre se déroule à la cour d'assises de Paris le procès de Illich Ramirez Sanchez, alias "Carlos", "révolutionnaire professionnel", de son propre aveu, accusé d'être responsable de quatre attentats  perpétrés à Paris en 1982 et 1983. Capturé au Soudan en 1994 et ramené en France, Carlos a déjà été jugé et condamné à la réclusion à perpétuité pour trois assassinats remontant à 1975. Il n'encourt rien de plus que ce à quoi il a déjà été condamné et c'est l'esprit presque léger qu'il se présente devant les juges.

Mais ce ne sont pas ses facéties de diva de la révolution qui importent. Ce sont les circonstances de sa capture. Car au Soudan dans les années 1990 Carlos partageait la vedette avec un autre terroriste, que l'on aurait pu appréhender en même temps, si les Etats-Unis l'avaient souhaité, ce qui ne fut pas le cas. Le terroriste en question était Oussama Ben Laden. Le président des Etats-Unis était alors Bill Clinton.

 Rappel des faits:

Carlos se réfugie au Soudan en 1991 après avoir été chassé de Syrie par Hafez el Assad. Il y côtoie un jeune Oussama Ben Laden, de retour d'Afghanistan. Tout oppose les deux hommes; l'un est croyant, ascète  et a combattu les soviétiques, l'autre est jouisseur, athée, à la solde des soviétiques. Tout les oppose, sauf deux notions ancrées au plus profond d'eux-mêmes:  l'antisémitisme  et l'anti-américanisme.

Fin 1993 Omar al Bechir devient président du Soudan, dont il était déjà premier ministre depuis 4 ans. Le Soudan est alors au fond du gouffre. Son régime militaro-islamiste et la rebellion du sud ont ruiné à la fois son économie et sa réputation internationale. La France propose un marché:  son soutien auprès du FMI et quelques bricoles contre la remise de Carlos. Al Bechir accepte mais Carlos ne sera pas "remis", la DST devra venir le capturer avec la complicité passive des services soudanais. L'opération a lieu le 14 août 1994.

Satisfait de la transaction Omar al Bechir propose alors un autre marché: livrer Ben Laden aux Américains. Mais à sa surprise ils ne sont pas intéressés! 

Ben Laden s'installe au Soudan en 1992. Il vient d'être banni d'Arabie Saoudite pour ses diatribes contre les Américains et contre la famille royale. Le roi  Fahd a en effet rejeté son offre de mettre ses Moudjahiddins, vainqueurs des soviétiques en Afghanistan, à son service contre Saddam Hussein après que celui ci a envahi le Koweit en août 1990. Acceptant plutôt la venue de cinq cent mille GI's sur le sol sacré saoudien! Un blasphème pour Ben Laden qui réclame vengeance et jure que sa jeune organisation, Al Qaeda, l'obtiendra.

Quelques mois plus tard, en février 1993, a lieu le premier attentat contre le World Trade Center causant la mort de six personnes. Les terroristes sont des proches de Ben laden qui se sont entraînés dans les camps d'Al Qaeda, mais personne n'y prête vraiment attention. Le tout nouveau président des Etats-Unis, Bill Clinton, encore moins que les autres.  Son soucis d'alors c'est la Somalie...

Ben Laden poursuit ses attaques. Deux attentats, perpétrés en Arabie Saoudite, tuent cinq militaires américains en 1995 et 19 en 1996. La CIA est alors en pleine négociations avec Khartoum pour se faire remettre Ben Laden, mais Clinton refuse de signer. Khartoum propose une extradition tout à fait officielle, Clinton dit non! Au prétexte que les preuves contre Ben Laden ne sont pas suffisantes pour le faire condamner devant un tribunal américain. Finalement l'affaire s'ébruite, Ben Laden s'enfuit pour l'Afghanistan. La suite de l'histoire est connue. 

Bill Clinton aura, selon les témoingages, deux autres occasions de capturer Ben Laden avant la fin de son mandat. Il n'en saisira aucune. Bien des années après, il reconnaîtra simplement que cela  aura été "la plus grave erreur" de sa présidence.

D'autant plus grave que, et on l'oublie trop souvent,  c'est bien pendant ces années-là, alors que la vigilance américaine était en défaut que Ben laden et Al Qaeda ont pu préparer le 11 septembre. 

A Lire: Losing Ben Laden: How bill Clinton's failures unleashed Global terror