2 : Le Diable se cache dans les détails Ou, Much Ado about Nothing
Faillite Politique II
Le 21 novembre donc la « super commission » a jeté l’éponge. Sa mission était de trouver 1 200 milliards d’économies sur 44 000 milliards de dépenses estimées pour les dix ans à venir. Soit une coupe d’environ 2,5% ! Un chiffre pas insurmontable donc. Et pourtant…
Pourquoi cet échec ? Quelles conséquences aura-t-il?
La réponse à la première question est principalement politique, la seconde, économique. Mais qu’on se rassure, aucun vent de panique ne va souffler. En tout cas pas dans l’immédiat. Car, en vérité, cet échec arrange tout le monde! C’est d’ailleurs pour cela que les élus de la super commission n’ont pas fait l’effort de parvenir à un compromis.
En l’absence d’accord, en effet, des « coupes automatiques » entreront en vigueur au 1er janvier 2013 !Les économies budgétaires nécessaires seront bien réalisées. Et personne n’aura à en porter la responsabilité puisqu’elles seront « automatiques ». La date du 1er janvier 2013 venant après celle des élections (présidentielle et législatives) de 2012, cette solution permet d’éliminer un risque politique. Les termes d’un compromis auraient pu se retourner contre l’un ou l’autre parti pendant la campagne. Son absence élimine cette possibilité, tout en offrant à chaque camp l’occasion de prouver sa détermination.
Cette super commission n’était donc que de la poudre aux yeux. Elle avait pour fonction de gagner du temps tout en donnant aux électeurs l’illusion que leurs élus font quelque chose…
Car les vraies questions demeurent. Elles sont nombreuses. A commencer par le poids de la dette américaine, le moyen de la réduire et la nature des fameuses « coupes automatiques ».
On se souvient que cette super commission avait été mise en place fin juillet, à la suite de l’incapacité de l’exécutif et du législatif américains à se mettre d’accord sur un relèvement du plafond de la dette américaine. Ce premier échec avait déclenché une mini tempête financière et conduit l’agence Standard &Poor’s(S&A) à baisser la note américaine de « AAA » à « AA+ » le 5 août 2011.
Que se passe-t-il aujourd’hui ? Rien ! Depuis lundi soir les marchés sont calmes. Le Dow Jones a perdu 0,46% le 22 novembre, dans la lignée d’une morosité générale, mais pas d’une panique particulière. L’or ne s’est pas envolé, les taux d’intérêts non plus. S&A et Moody’s ont même affirmé que l’échec des négociations n’affecterait pas la note américaine.
Pourtant, la dette des Etats-Unis dépasse quinze mille milliards de dollars (15 000 000 000 000 $) soit 100% du PIB. Au-dessus de 60% du ¨PIB, le poids d’une dette est considéré comme un frein à la croissance. Ce ne sont donc pas 1 200 milliards qu’il faudrait trouver mais 7 000 milliards pour que l’économie américaine puisse repartir. Qui les cherche… ?
Quant aux fameuses « coupes automatiques », qui en fera l’objet ? Réponse, principalement le Pentagone. Les programmes sociaux tels que Social Security (retraites) Medicaid (assurance santé fédérale), les Food Stamps (tickets repas), ne seront pas affectés. Donc l’idée même d’un Etat Providence ne sera pas remise en cause. Alors que d’aucuns estiment que la période qui a permis à tous ces généreux programmes sociaux de prendre forme était passée. Par contre, pas moins de cinq cents milliards de dollars d’économie viendront du DoD (Department of Defense). Alors même que Leon Panetta, secrétaire à la Défense a déjà annoncé plus de 450 milliards de dollars d’économies sur les dix ans à venir. Soit mille milliards sur dix ans. Coïncidence, le coût de l’engagement américain en Afghanistan vient d’être estimé pour les dix ans écoulés depuis le 11 septembre à…mille milliards ! Cet engagement venant à sa fin (trente mille soldats sont en cours de démobilisation et toutes les troupes combattantes devront être rentrées d’ici fin 2014), les mille milliards d’économies sont tout trouvés…
A croire que tout le battage autour de la dette, de son plafond, et de la « super commission » n’était que beaucoup de bruit pour rien ! « Much Ado about Nothing ». A problème shakespearien, pirouette shakespearienne !
L’idée n’est pas si saugrenue.
Le Congressional Budget Office (CBO), agence du Congrès qui établit les prévisions de dépenses des Etats-Unis à moyen et long terme, envisage qu’en 2035, soit d’ici un quart de siècle, la dette représentera…185% du PIB ! Près du double d’aujourd’hui. Bref, au sein même de la branche législative, personne n’envisage sérieusement que les législateurs prennent ce problème à bras le corps.
Ce qui n’empêche pas les élus d’aujourd’hui de continuer à prétendre vouloir agir. Après tout il faut bien justifier sa fonction et son salaire! Plutôt que de laisser se déclencher les « coupes automatiques », six élus démocrates proposent de parvenir à des « coupes budgétaires encore plus sévères », mais peut-être plus tardives. Pour cela ils suggèrent une nouvelle commission, dont ils ont déjà trouvé le nom « le gang des six » !