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France-Amérique le blog de Gérald Olivier
26 octobre 2023

Etats-Unis : Parti Républicain, la bataille des MAGAs et des RINOs

 Les difficultés des Républicains à élire un « Speaker » ont révélé de profondes dissensions au sein du parti. L'enjeu tient à son identité face à l’émergence d’une nouvelle garde intransigeante et motivée par une autre façon de diriger les Etats-Unis.

Mike Johnson new Speaker 1

Après trois semaines de discorde ouverte, les Républicains ont élu Mike Johnson, « Speaker » de la Chambre.

Johnson est un élu de Louisiane de 51 ans, fervent chrétien, fier conservateur, partisan de la rigueur fiscale et défenseur des valeurs traditionnelles, également convaincu qu’une Amérique forte est un gage de sécurité pour le monde.

Son élection au poste de « Speaker », à l’unanimité des voix Républicaines, met un terme heureux à une comédie politique inédite qui a mis en lumière des désaccords profonds au sein du camp Républicain. Ces désaccords pourraient avoir une incidence sur l’élection présidentielle de 2024, quel que soit le candidat. Avant cela, ils risquent de provoquer de nouvelles tensions très rapidement concernant le vote du budget et le vote de mesures d’aide à Israël et l’Ukraine, demandées par le président Biden.

MIke Johnson new Speaker 2

Pour le comprendre, il faut d’abord revenir sur les événements qui viennent d’agiter la Chambre des Représentants.

Tout commence le 3 octobre. Ce jour-là, Kevin McCarthy, le « Speaker » en place depuis janvier 2023, a été renversé par un vote de 216 voix contre 210. Huit élus Républicains se sont joints aux élus Démocrates pour faire tomber leur collègue. De toute l’histoire du Congrès, ce n’était jamais arrivé.

La Chambre des Représentants est l’équivalent de l’Assemblée nationale en France. C’est la chambre basse du Congrès (la chambre haute étant le Sénat). Elle compte 435 députés, élus pour deux ans. Il faut 218 élus pour constituer une majorité. Son président est appelé le « Speaker ». Ses pouvoirs sont importants. Il nomme les présidents de commissions, décide de l’agenda législatif, et se trouve deuxième en ligne de succession pour la présidence (après le vice-président) en cas de vacance du pouvoir exécutif. Il dispose d’un maillet, symbole de sa capacité à maintenir l’ordre durant les débats. Il est élu, à la majorité simple, à l’ouverture de chaque nouvelle session du Congrès. En général, il s’agit du chef du parti majoritaire.

Kevin McCarthy speaker & Nancy Pelosi

Les élections intermédiaires de novembre 2022 ont vu les Républicains remporter une étroite majorité avec 223 sièges contre 212 au parti Démocrate. Début janvier, lors de l’ouverture de la nouvelle session du Congrès, la Démocrate Nancy Pelosi, « Speaker » sortante, a donc dû rendre son maillet et les Républicains ont été appelés à élire  leur « Speaker »,

L’étroitesse de leur marge de victoire ne rendait pas la tâche facile. Car elle offrait un pouvoir de nuisance disproportionné à une infime minorité d’élus. Il suffisait de cinq dissidents pour faire échouer toute initiative. Et c'est ce qui s'est produit.

Il fallut quatre jours et quinze tours de scrutin à Kevin McCarthy, représentant de Californie, pour être élu. A chaque scrutin, tandis que Hakeem Jeffreys, le candidat présenté par les Démocrates, faisait le plein des voix de son parti, soit 212, McCarthy était pénalisé par la défection d’une poignée d’élus Républicains. Dès lors aucun des deux candidats n’ayant la majorité absolue, il fallait recommencer de voter.

U

Kevin McCarthy était rejeté par les élus les plus radicaux du parti, par ce qu’il était jugé trop modéré. Trop enclin à rechercher des compromis avec les élus Démocrates. Et pas assez ferme sur les principes essentiels du parti Républicain.

Ces radicaux comptent en leur rang des élus comme Matt Gaetz, représentant de Floride, Marjorie Taylor Greene, de Géorgie (régulièrement mise en avant par les médias de gauche, pour ses prises de position anti-conventionnelles et donc polémiques), Nancy Mace de Caroline du Sud, Andy Biggs de l’Arizona, Laura Boebert du Colorado, Tim Burchett du Tennessee, Bob Good de Virginie, Chip Roy du Texas et quelques autres.

Matt Gaetz

Ils sont quadras ou quinquas, viscéralement anti-establishment, généralement proches de Donald Trump, et du mouvement MAGA (« Make America Great Again »/Rendre sa grandeur à l’Amérique), assis sur leurs principes, et résolus à se démarquer de leurs ainées par leur intransigeance, et le respect des engagements pris auprès de leurs électeurs.

Ils sont les pourfendeurs de « la politique à la papa », celle des petits arrangements entre amis qui font passer les intérêts particuliers avant l’intérêt national. Kevin McCarthy était pour eux la personnification de cette façon de légiférer, et ils ne voulaient pas de lui à leur tête…  

Kevin McCarthy a néanmoins maintenu sa candidature et négocié avec ses collègues récalcitrants, pour se rallier leur voix, une à une. Tour après tour, concession après concession, il est parvenu à obtenir une majorité et être élu « speaker ».

Kevin Mc Carthy

L’une de ces concessions, cependant, fut d’autoriser tout élu du parti à déposer, tout seul et à tout moment, une motion de défiance vis-à-vis du « Speaker » obligeant l’ensemble de la Chambre à voter sur son maintien à ce poste (précédemment il fallait une majorité des élus du parti pour déposer une telle motion).

C’est ce que Matt Gaetz a fait le 3 octobre. Sa motion a été approuvée par tous les élus Démocrates, trop contents de l’aubaine qui leur était offerte de renverser le chef du parti adverse, et huit élus du parti Républicain, précipitant la chute de McCarthy et plongeant la Chambre dans l’incertitude.

Car les radicaux n’avaient pas planifié de coup suivant. Ils n’avaient personne susceptible d’être soutenu par l’ensemble du parti pour succéder à McCarthy.

Jim Jordan

D’où trois semaines de tâtonnements et de batailles internes pour se trouver un nouveau chef. Trois candidats ont été rejetés, l’un après l’autre. Le premier fut Steve Scalise un élu modéré de Louisiane rejeté par les conservateurs. Le  second fut Jim Jordan, un élu conservateur de l’Ohio, rejeté par les modérés. Le troisième fut Tom Emmer, un élu très modéré du Minnesota qui a renoncé à mettre sa candidature aux voix tant elle a suscité d’opposition, y compris de la part de Donald Trump qui se fendit d’un communiqué officiel pour déclarer Emmer un « RINO » et souligner qu’il était le pire choix possible.

Donald Trump patriotic

Ce qui nécessite deux explications pour les non-initiés.

La première  concerne l’organisation du parti Républicain. Il ne s’agit pas d’un parti avec des adhérents, une hiérarchie et un organigramme, à la française. C’est un parti d’affiliation. Il n’y a donc pas de chef reconnu. Mais Donald Trump étant le dernier président Républicain et le candidat le mieux placé pour emporter la nomination présidentielle en 2024, il exerce de facto une influence sur ce que font les élus… Même s’il n’a jamais été consulté officiellement sur le choix du nouveau speaker, il a eu son mot à dire. Emmer n’étant pas dans les petits papiers de Trump, il n’avait aucune chance d’être élu.

Tom Emmer Minnesota Rep

La seconde explication concerne le terme « RINO ». Il signifie « Republican In Name Only », soit « Républicain seulement de nom ». C’est une expression apparue dans les années 1920, il y a donc un siècle déjà, pour décrire les membres du parti n’adhérant que de loin aux préceptes essentiels du « Républicanisme » aux Etats-Unis.

Pour rappel, ces principes sont :

- la défense des libertés et droits individuels ;

- l’affirmation que la souveraineté nationale réside dans le peuple;

- la défense des valeurs traditionnelles, c’est-à-dire les valeurs familiales et religieuses propres à l’occident judéo-chrétien ;

- la rigueur fiscale dans la gestion des affaires publiques;

- une faible imposition allant de pair avec des limites strictes à l’interventionnisme d’Etat ;

- le patriotisme associé à la défense de l’Union ;

Jusqu’à la seconde guerre mondiale ces principes incluaient également l’isolationnisme, c’est-à-dire la non-intervention dans les affaires du monde. Après 1945,  cet isolationnisme fut mis de côté au nom de la lutte contre le communisme et l’expansionnisme soviétique. Toutefois une aile anti-interventionniste a toujours subsisté au sein du parti Républicain et elle a repris de la voix depuis la fin de la Guerre Froide. Tous les Républicains se rejoignent néanmoins pour reconnaître que la sécurité des Etats-Unis nécessite de maintenir une position de force dans le monde (ce que les Républicains appellent « peace through strength »/ "la paix grâce à la force") .

Les principes défendus par le parti Républicain, ont été mis à mal par la montée de la social-démocratie aux Etats-Unis. D’abord  avec la Nouvelle Donne (New Deal) de Franklin Roosevelt, en réponse à la Grande Dépression des années 1930. Puis avec la  Grande Société  (« Great Society ») voulue par le président Johnson dans les années 1960. Et enfin avec l’expansion constante des pouvoirs et prérogatives du gouvernement fédéral.

 Reagan beacon of Republicanism

Les principes républicains sont revenus en force avec Ronald Reagan, dans les années 1980 et l’expression RINO a connu un regain de popularité à partir des années 1990 pour décrire les trop nombreux Républicains qui avaient adulé Reagan pendant ses deux mandats mais qui, ensuite, se sont accommodés des avancées incessantes de l’Etat fédéral.

L’émergence de Donald Trump et l’accent populiste et nationaliste qu’il a donné aux principes Républicains, rassemblés derrière le slogan « MAGA » ont insufflé une nouvelle vie à l’expression RINO pour en faire une étiquette péjorative accolée à tous les membres du parti trop enclins à entériner l’extension sans fin des pouvoirs du gouvernement, à s’accommoder des pertes de valeurs imposées par un progressisme débridé, et même à intégrer les codes de gauche jusque dans leurs discours.

Donald Trump with cap make america great again

En 2016, la victoire surprise de Donald Trump à l’élection présidentielle a fait taire les dissensions au sein du parti, chacun se ralliant à sa victoire. Mais sa défaite en 2020 a fait rejaillir ces tensions et dissensions.

Le parti Républicain est aujourd’hui divisé en deux factions, les « MAGAs » rassemblés derrière Donald Trump, qui représentent deux électeurs républicains sur trois, et les RINOs qui ne se reconnaissent ni dans l’attitude ni dans la personnalité de Trump.

MAGA enthusiasts

Les MAGAs constituent l’essentiel de la base du parti. Ce sont les millions d’électeurs qui vouent un culte à Trump, le premier homme politique américain qui a fait l’effort de les écouter et qui a compris leurs difficultés et leurs aspirations. Les RINOs, par contre, se rencontrent plus fréquemment au sein des élites qui pratiquent, par nécessité, l’art du compromis.

Les succès du mandat de Donald Trump sur le plan économique – sa présidence est la seule des cinq dernières décennies qui a vu les revenus les plus bas progresser plus rapidement que les revenus les plus élevés (une statistique qui, bien entendu, n’est pas mise en avant par la presse dominante) et l’effondrement des Etats-Unis sous la présidence de Joe Biden, ont convaincu les plus radicaux des élus Républicains de ne plus transiger avec les RINOs et encore moins avec les Démocrates.

RINO Republican

 C’est la raison principale des trois dernières semaines de désordre à la Chambre.

L’élément déclencheur de ce désordre fut le vote le 30 septembre, cinq minutes avant minuit, d’une loi d’urgence pour relever le plafond de la dette publique américaine et éviter une cessation des activités du gouvernement. Ce texte a été voté avec le soutien de voix Démocrates, passant outre l’opposition des élus radicaux du parti Républicain. Cette « trahison » de leur chef a servi de prétexte à Matt Gaetz et consort pour justifier leur « motion de défiance » déposée trois jours plus tard.

 La pomme de la discorde tient donc aux déficits budgétaires et à l’énorme dette publique qui en résulte.

U

Depuis 1970, soit au cours des cinquante-trois derniers exercices budgétaires, les Etats-Unis n’ont connu que trois exercices excédentaires (1998,1999,2000), contre cinquante exercices déficitaires. Résultat, la dette publique américaine dépasse désormais trente-trois mille milliers de dollars, ou 33 « trillions » de dollars dans la terminologie américaine (cela s’écrit 33 000 000 000 000 $). Ce qui représente cent mille dollars de dette pour chaque Américain.  

Cette dette est en perpétuelle augmentation et les intérêts sont devenus le deuxième poste budgétaire, après la défense. Ce qui n’a pas empêché l’administration Biden de proposer pour 2024 un budget en déficit de mille sept cents milliards de dollars ( 1,7 « trillion » de $).

US_Debt_to_GDP

 Certains élus Républicains ont décidé qu’il était temps de dire « stop ».

D’autant que Kevin McCarthy avait promis en janvier de présenter aux élus, toutes les « lois d’appropriation » une par une,  et qu’il n’a pas tenu sa promesse. Sur douze lois d’appropriation prévues, cinq seulement ont été présentées et seulement deux approuvées.

Ces lois concernent l’allocation de fonds aux différents ministères et agences gouvernementales, comme la Défense, l’Education, l’Energie, les Transports etc Elles sont révisées tous les ans dans le cadre du vote sur le budget et permettent de procéder à des coupes ciblées si nécessaire.

Récemment toutefois, ces lois n’ont plus été ni présentées, ni votées individuellement. Au lieu de cela, une proposition de loi générale, appelée « loi omnibus », est présentée aux élus à la fin de l’année, quelques jours, et même parfois quelques heures, avant le départ des députés pour leurs vacances de Noël. Toutes les appropriations sont alors votées en bloc ! Sans possibilité d’amendements. Donc sans coupes possibles.

La seule alternative à un vote favorable est le chaos. Car, en cas de rejet de cette « loi omnibus », le pays se retrouverait sans budget, les services publics menacés, les militaires et fonctionnaires impayés et les députés obligés de siéger en session extraordinaire jusqu’à parvenir à un accord…

Nancy Pelosi speaker gavel

C’est un système pervers qui oblige les élus à voter sans discernement des textes qu’ils n’ont même pas eu le temps de lire. Ce fut le cas de la dernière loi votée par la Chambre sous la direction de la « speaker » Démocrate Nancy Pelosi en 2022. Le 22 décembre un texte de plus de quatre mille pages, avec 1,7 milliers de milliards de dollars de dépenses, a été soumis aux élus du Congrès, avec pour eux la gageure de l’approuver avant le 23 au soir. Nancy Pelosi prit même prétexte d’une tempête de neige menaçant Washington pour demander aux élus de voter encore plus rapidement afin que chacun puisse prendre l’avion et rentrer chez soi à temps…

La méthode permet, entre autres, de faire approuver des milliards de dollars de dépenses inutiles au pays, mais très utiles à la réélection des élus… C’est ce que les Américains appellent le « pork barrel politics», expression intraduisible qui évoque le « gras de porc » utilisé pour conserver certaines denrées… C’est une corruption qui ne dit pas son nom.

Pork BArrel Politics 3

Les élus Républicains s’étaient promis d’en finir avec cette politique qui profite aux politiciens et aux intérêts particuliers mais nuit à l’intérêt national. Malheureusement leur leader n’a pas été en mesure de tenir cette promesse. C’est la cause profonde de la chute de McCarthy.

Son successeur, Mike Johnson, va très vite se retrouver confronté aux mêmes choix difficiles.  Dès le 17 novembre, le gouvernement américain sera à nouveau au bout de son crédit. Les élus devront à nouveau décider de relever le plafond de la dette, ou suspendre les activités du gouvernement, sauf à trouver une solution durable d’ici là. Ce qui semble peu probable dans un laps de temps aussi court.    

Avant cela, ces mêmes élus devront se prononcer sur une appropriation de cent milliards de dollars demandée par le président Biden et destinée à soutenir Israël et l’Ukraine dans leurs conflits respectifs avec le Hamas et la Russie.

Israel Conflict in Gaza 2023

 Or, si les Républicains s’entendent pour soutenir Israël dans l’exercice de son droit à la légitime défense, ils ne sont pas à l’unisson concernant la guerre en Ukraine. Après vingt mois de combats, certains estiment venu le temps d’une solution politique et non plus militaire. Ils estiment aussi que la faiblesse de l’administration Biden sur la scène internationale est la vraie cause de la prospérité nouvelle des seigneurs de guerre et que cette faiblesse doit être dénoncée et sanctionnée.

Joe Biden and Afghan withdrawal

Depuis janvier 2021 et l’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche, le monde ne cesse de s’enflammer et la barbarie de prospérer. Les Talibans ont repris le contrôle de  l’Afghanistan et Europe et le Proche Orient, sont en proie à des affres qu’ils n’ont pas connues depuis plusieurs décennies, et qui menacent de précipiter  le monde vers la troisième guerre mondiale.

Décider d’une politique américaine cohérente et susceptible de rétablir le calme dans le monde est aussi un des enjeux de la bataille entre MAGAs et RINOs. C’est le premier défi qui attend le nouveau Speaker, Mike Johnson.

 

 

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Commentaires
T
Merci Gerald pour tes articles clairs et éclairés.
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C
Le meilleur article lu sur le sujet ! Merci et bravo !!! (NB : approbation et non appropriation - laps et non lapse).
Répondre
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