Syrie: Obama place l'Amérique au bord de l'engrenage.
Derrière l’étrange pas de deux du président Américain -un, j’y vais, deux, j’attends- se cache un engrenage dont personne à Washington, ne connait la fin.
C’est un ballet politique aux conséquences incalculables qui se déroule en ce moment à Washington. En demandant l’autorisation du Congrès pour mener une action punitive contre le régime de Bachar al Assad, en Syrie, le président Obama a pris le risque de déclencher une réaction en chaine qui pourrait aboutir à une confrontation régionale majeure. Ou pire encore.
En demandant une telle autorisation, le président Obama a voulu se dédouaner, sortir de l’impasse où il s’était lui-même engagé. Mais la manœuvre est dangereuse.
Au départ un conflit typiquement issu de « l’Orient compliqué »: avec un régime autoritaire, mais laïc, le fameux parti Ba’ath, jadis également au pouvoir en Iraq ; représentant d’une minorité ethnique équivalente à 12% de la population (les « Alaouites », branche du chiisme) d’un pays multiconfessionnel, avec des chrétiens et des musulmans sunnites et chiites, mais où, de plus en plus, les sunnites, majoritaires (75%), réclament un pouvoir politique en rapport avec leur domination démographique ; un pays soutenu de l’extérieur par l’Iran, mais qui a combattu le terrorisme d’Al Qaida au côté de l’Occident, et appuyé par la Russie, qui bloque toute action au sein du Conseil de Sécurité de l’Onu. Face à ce régime, une rébellion inspirée des récentes révolutions arabes, mais divisée et de plus en plus dominée par des éléments religieux radicaux ; elle comprend des djihadistes étrangers venus combattre au nom d’Al Qaida et au moins une faction dénoncée comme une « organisation terroriste » par Washington. Cette rébellion a son quartier général en Turquie mais reçoit son armement de l’Arabie Saoudite et du Qatar qui soutiennent ses factions salafistes.
Dans les premiers mois du conflit à l’été 2011 le régime de Bachar al Assad paraissait fragile. Proche de la chute. De nombreux gouvernements avaient alors pris fait et cause pour son renversement. L’administration Obama en tête. Toutefois le régime a résisté bien au-delà des anticipations. Courant 2012 le président Obama mettait à deux reprises le régime en garde contre l’emploi de certaines armes de destruction massive, dont les armes chimiques. Le recours à de telles armes changerait la donne, disait-il, et entrainerait des représailles militaires. C’était une « ligne rouge » à ne pas franchir.
Le 21 août 2013 elle a, semble-t-il, été franchie. C’est ce qu’ont annoncé les rebelles avec de terribles images à l’appui. C’est ce qu’a confirmé le Secrétaire d’Etat américain, John Kerry, affirmant disposer de preuves complémentaires. Dès lors une riposte s’imposait. Mais laquelle ? A quelle fin ? Comment ? Et par qui ?
Le Conseil de Sécurité ne peut apporter son aval du fait du droit de véto dont disposent Russes et Chinois.
La communauté internationale, échaudée par le précédent iraqien, s’est immédiatement distancée de la position américaine. Sauf la France de François Hollande. La Chambre des Communes britannique a voté contre une intervention. Allemands Espagnols et Italiens ont dit qu’il ne faudrait pas compter sur eux.
Soudain isolé, Obama a réalisé qu’il s’était laissé prendre à son propre piège. Il se devait d’agir pour préserver sa crédibilité, mais ne pouvait se permettre d’agir seul, ou presque, et surtout d’agir à l’encontre de sa propre opinion publique. Car les Américains sont, à plus de 60%, opposés à toute intervention en Syrie. La parade du président pour se sortir de la boite où il s’était lui-même enfermé a été de demander l’aval du Congrès. S’il l’obtient, sa frappe aura été estampillée approuvée par la nation, il ne sera plus seul responsable de ses conséquences. S’il ne l’obtient pas il aura une excuse pour ne rien faire.
Quel que soit le vote du Congrès, cette manœuvre aura un coût politique. En faisant appel directement au Congrès le président Obama a créé un précédent qui affaiblit l’exécutif. Aux Etats-Unis le pouvoir de « déclarer la guerre » revient, de par la Constitution à l’appareil législatif, c’est à dire au Congrès. Mais le président, en tant que Commandant en Chef des Armées, est autorisé à mener toute action militaire jugée nécessaire, à charge d’en informer le Congrès sous 48h, et si les opérations se poursuivent, de demander son soutien sous soixante jours. C’est ainsi qu’ont agi les présidents américains depuis la fin de la seconde guerre mondiale. La procédure a d’ailleurs été légitimée par un texte de loi en 1973, le War Powers Act.
Si le vote est défavorable, ce sera une terrible défaite politique pour Obama. Il aura été désavoué après s’être lui-même mis en position de faiblesse. Seul son honneur sera sauf. Avant les débats, l’issue du vote était très incertaine. Les « anti-interventionnistes », et « néo-isolationnistes » espéraient rassembler une majorité, notamment à la Chambre des Représentants, où les Républicains sont majoritaires.
Si le vote est favorable, il aura aussi des conséquences militaires et géopolitiques, encore incalculables. Quelle que soit la nature de la frappe américaine, le régime syrien sera en droit de répondre à une telle attaque et le fera sans aucun doute. Soit par des actes terroristes dans la région, ce dont il est coutumier, soit en élargissant le conflit, à la Jordanie, au Liban, au Qatar, nettement moins en mesure de se défendre, ou même à Bahrein, à majorité chiite, ou à Israël pour forcer la main à son allié iranien. Ce serait alors une conflagration majeure qui embraserait le Moyen Orient… Même sans intervenir militairement, l’Iran pourrait agir sur le volet pétrolier en bloquant le détroit d’Ormuz, et les exportations de pétrole du Golfe arabo-persique, créant une flambée du prix du baril et une mini panique économique, alors même que les pays occidentaux peinent à relancer leurs machines économiques… La Russie restera-t-elle les bras croisés alors qu’un de ses alliés a été attaqué, sa propre position sur la scène internationale ignorée, et la souveraineté d’un Etat bafouée sans autorisation de l’Onu… ?
Qui peut dire, par ailleurs, où s’arrêtera l’engrenage des ripostes successives? Dès le 31 août et l’annonce du recours législatif d’Obama, les élus du Congrès ont insisté pour que la résolution sur laquelle ils devront voter, inclut explicitement l’interdiction de troupes américaines au sol. Cela laisserait néanmoins à Washington la possibilité de soutenir d’autres troupes sur place. Ou d'intervenir à plusieurs reprises. Surtout cela signifierait que Washington soutient désormais par ses actes des rebelles qui comptent dans leurs rangs des organisations classifiées comme terroristes, contre lesquelles l’administration dit combattre. Une aberration !